La libéralisation des horaires sera combattue
Couc sur coup, le Conseil des Etats a adopté deux mesures visant à élargir les heures d'ouverture des magasins en Suisse
Unia et l'Union syndicale suisse (USS) sont en ordre de bataille pour s'opposer à la vague de libéralisation des heures d'ouverture des magasins. Ces cinq dernières années, plus d'une douzaine de votations cantonales ont eu lieu sur la question. Dans plus de 90% des cas, la population a clairement fait savoir son opposition, comme en témoigne le rejet massif, en juin, du projet d'ouverture illimitée des commerces à Zurich et celui d'une prolongation de l'horaire du samedi de 16h à 17h à Lucerne.
Au niveau national, le vent glacial de la dérégulation continue pourtant de souffler. Le 17 septembre, le Conseil des Etats a accepté, par 26 voix contre 17, d'autoriser les shops des stations-service situées sur les autoroutes et les grands axes routiers d'ouvrir leurs portes 24 heures sur 24. Il s'agit de la version «light» de l'initiative parlementaire du libéral-radical genevois Christian Lüscher. «Light» parce que ce dernier demandait l'ouverture des shops situés sur les aires d'autoroute et sur «les grands axes routiers», cette dernière notion ayant été remplacée par le Conseil fédéral par celle «d'axes de circulation importants fortement fréquentés par les voyageurs». Pour Luca Cirigliano, secrétaire central de l'USS, cette nuance est «de la poudre aux yeux». Car elle ne diminuerait que de façon minime le nombre de shops concernés et ne changerait en rien les conséquences négatives d'une ouverture 24h sur 24 sur la santé et la vie sociale des employés obligés de travailler la nuit, avec en prime des risques de violence et de braquage en hausse ces dernières années.
Dégradation massive des conditions de travail
Le Conseil national devra encore se prononcer sur la version «light» de l'initiative Lüscher lors de la session d'hiver. En cas d'acceptation, Unia et l'USS ont d'ores et déjà annoncé qu'ils étaient prêts à lancer le référendum. «Les deux variantes sont pour nous inacceptables. Chaque extension des horaires signifie une dégradation massive des conditions de travail d'un personnel déjà très précarisé», relève Vania Alleva, vice-présidente de l'USS et membre du comité directeur d'Unia. Elle précise néanmoins que les délégués d'Unia, qui avaient donné leur feu vert au référendum contre la première variante en juin, devront prendre la décision formelle sur un lancement contre la version «light» lors de leur prochaine assemblée, le 6 octobre.
Dans le sillage de l'initiative Lüscher, un autre projet de déréglementation a été accepté par le Conseil des Etats. Il s'agit de la motion de Filippo Lombardi, du PDC. Il demande une harmonisation des horaires d'ouverture des magasins dans toute la Suisse, entre 6h et 20h la semaine et 6h et 19h le samedi. Cette motion sera également soumise au National cet hiver. Si elle est adoptée, une loi devra encore être élaborée. La question du référendum n'est dès lors pas immédiate. Cette nouvelle attaque contre le personnel de vente est portée au nom de la lutte contre le tourisme des achats. Or, explique le secrétaire central de l'USS, un prolongement des heures d'ouverture n'a aucune incidence sur les emplettes faites à l'étranger. Ainsi, dans les cantons frontaliers d'Argovie et de Zurich, les horaires élargis n'empêchent pas un fort tourisme des achats.
Mépris de la volonté populaire
«La motion Lombardi est inacceptable. Elle signifierait une nouvelle détérioration des conditions de travail avec une extension des horaires dans plus de la moitié des cantons», s'indigne Vania Alleva. «C'est incroyable que le Conseil des Etats, et avant lui le Conseil fédéral, acceptent une motion de ce type qui va clairement à l'encontre de la volonté populaire», souligne-t-elle, en évoquant tous les projets d'élargissement rejetés en votations dans les cantons.
Elle dénonce également le fait qu'aucune discussion n'ait eu lieu sur la mise en place d'une convention collective de travail nationale pour le personnel de vente. «Lors de la votation de 2005 sur les ouvertures dans les gares et les aéroports, les patrons et les politiciens de droite n'avaient cessé de dire qu'ils étaient prêts à réglementer les conditions de travail du personnel concerné. Mais après la votation rien n'a pu être obtenu. Au contraire, les propositions de libéralisation sont arrivées les unes après les autres.»
Motion Hutter à la trappe
Alors que les syndicats s'apprêtent à combattre cette «américanisation» du commerce en Suisse, ils se réjouissent qu'une autre motion, celle du conseiller national zurichois Markus Hutter, ait été rejetée par le Conseil des Etats. Car il ne demandait pas moins qu'une libéralisation totale en autorisant les cantons à fixer «comme bon leur semble» les heures d'ouverture «des points de vente et entreprises de services»...
Sylviane Herranz