Fuyant la menace des talibans, le cinéaste afghan Hassan Fazili documente son périple de trois ans vers l’Europe avec sa famille. Un film est né de leur exil, «Midnight Traveler», un témoignage bouleversant
Pour Hassan Fazili, tout bascule en 2015 après la diffusion à la télévision nationale d’un documentaire qu’il consacre au chef taliban Mullah Tur Jan, un guerrier repenti prônant la non-violence. Ce dernier est assassiné et le réalisateur, engagé pour la paix et la liberté d’expression, reçoit l’information qu’il est le prochain sur la liste. Avec son épouse, la réalisatrice Fatima Hussaini, et leurs filles Nargis, 11 ans, et Zahra, 6 ans, il doit fuir le pays. La famille se réfugie dans le Tadjikistan voisin et demande l’asile. Après avoir essuyé un refus, ils sont renvoyés vers l’Afghanistan. Face au risque pour leur vie, ils n’ont alors d’autre choix que de se lancer dans un exil clandestin. Leur objectif: une Europe qui apparaît comme la seule solution. On remplit le coffre d’une voiture, on embrasse les proches avec l’angoisse de ne jamais les revoir et c’est le début d’une odyssée de 5600 km dont on ne peut rien prédire sinon entrevoir les dangers à venir.
L’horreur de l’exil
C’est ce «voyage jusqu’au seuil de l’enfer» ainsi que le décrit Hassan Fazili, que la famille a ainsi documenté à l’aide de leurs portables. «Dans les circonstances qu’étaient les nôtres, impossible de travailler avec des caméras professionnelles. Tout ce qu’on avait, c’était trois téléphones», explique le cinéaste. Un voyage qui débute par la traversée de l’Iran qui pourrait presque s’apparenter à un sympathique road-movie en comparaison de l’horreur qui suivra. Arrivés en Turquie, les Fazili abandonnent la voiture – un cadre familier et rassurant – et sont livrés aux passeurs qui sont désormais maîtres de leur destin. Il faut grassement les payer et les suivre aveuglément. Entre les journées d’errance à pied et les refuges de fortune, la nourriture manque, l’angoisse monte et les passeurs réclament davantage d’argent. Arrivés à Istanbul, la famille doit choisir entre la voie terrestre et la voie maritime: «Le bateau c’est 4000 euros, on vous emmène direct», explique des passeurs. Hassan et Fatima choisissent de continuer par la route, direction la Bulgarie. S’ensuivent les transits et les attentes mortifères dans différents camps aux conditions parfois indescriptibles d’inhumanité et d’insalubrité, ainsi que la confrontation à la xénophobie et à la violence de certaines populations et de forces de l’ordre: «Vous faites tous partie de Daech!» lance un policier bulgare.
Humour à toute épreuve
Après trois années d’errance, ce ne sont pas moins de 300 heures d’images et 25 heures d’enregistrements de voix off que le réalisateur a capturées et envoyées au fur et à mesure à la productrice américaine Emelie Mahdavian. Cette dernière, soutien de la famille de la première heure, s’attèlera à démêler la quantité d’images et à monter Midnight Traveler. Le résultat en est un témoignage unique et édifiant sur la brutalité de l’exil et les conditions de vie de milliers d’hommes et de femmes qui tentent chaque jour de rejoindre au péril de leur vie la forteresse Europe. Un documentaire sur les migrants, réalisés par des migrants, selon leur propre point de vue et qui permet au spectateur, peut-être pour la première fois, d’approcher – si tant est que cela soit possible – un quotidien fait d’angoisses, de douleurs, de doutes et de colère. Une leçon de résilience, d’amour, de solidarité, d’humour – un humour à toute épreuve qui rend ce quatuor si attachant – et malgré tout d’espoir. Peu de mots peuvent en effet décrire la pure émotion ressentie face à cette scène dans un camp serbe, alors que la famille démunie vit enfermée depuis des mois et que le bonheur absolu des fillettes gagne les parents: «Il a neigé le jour de Noël, on peut jouer dehors!»
Midnight Traveler, de Hassan Fazili est disponible sur la plateforme filmingo.ch pour la somme de 8 francs. Des abonnements permettant de visionner plusieurs films sont également possibles.
(Re)découvrir Ken Loach
La plateforme filmingo.ch propose également une minirétrospective consacrée au réalisateur britannique Ken Loach. Depuis ses débuts dans les années 1960, ce cinéaste contestataire et engagé a construit une filmographie à caractère social et dénonçant les dérives du capitalisme. Parmi les films disponibles, La part des anges (2012), où il se penchait sur le chômage de masse des jeunes Anglais sans diplômes et sans perspective d’avenir, ainsi que Moi, Daniel Blake (Palme d’or du Festival de Cannes en 2016) qui traitait de l’enfer de l’aide sociale. Son dernier film, Sorry We Missed You (voir L’Evénement syndical du 16 octobre 2019), dénonçait quant à lui l’ubérisation actuelle de la société.
Festival du Film Vert en ligne
Interrompu après environ 60 projections sur les 400 prévues en raison de la crise sanitaire, le Festival du Film Vert propose une sélection de vidéos à la demande. En attendant une éventuelle reprogrammation du festival cet automne, ce sont ainsi quelques films parmi les plus marquants des éditions précédentes qu’il est possible de visionner en ligne.
Pour accéder aux vidéos à la demande: festivaldufilmvert.ch/boutique
Chaque film est proposé pour la somme de 5 francs.