Les personnes sans papiers qui travaillent n’ont accès ni aux RHT ni à l’aide sociale. La crise du Covid-19 a révélé la fragilité de leur statut
Avec la pandémie, des travailleuses et des travailleurs sans papiers se sont retrouvés du jour au lendemain sans salaire… et sans accès aux aides publiques. Selon les estimations de la Confédération, le pays compterait quelque 80’000 sans-papiers. Parmi ces personnes «invisibles», celles qui travaillent paient des cotisations, parfois depuis des dizaines d’années. Mais cela ne leur ouvre pas de droit au chômage ou aux RHT. Ni à l’aide sociale, pour laquelle il faut présenter un titre de séjour.
Depuis qu’elle a adopté, en décembre dernier, le rapport du Secrétariat d’Etat aux migrations «Pour un examen global de la problématique des sans-papiers», «la Confédération a passé la balle aux Cantons pour gérer cette question», explique Marie Saulnier Bloch, docteure en droit et secrétaire migration d’Unia. «La loi dépend de la Confédération mais le quotidien se vit dans les communes», pointe Karine Clerc, municipale du service Enfance et cohésion sociale de Renens. Une Ville qui a «débloqué pas mal d’argent pour répondre à cette urgence sociale avec plusieurs collectifs», précise l’élue. Le 6 mai, son service organisait un colloque sur la pandémie et le travail des sans-papiers.
Des travailleuses et des travailleurs exclus du filet de protection publique? «Cette situation est indigne», dénonce Sophie Mayerat, de La Fraternité, service social pour immigrés, géré par le Centre social protestant (CSP Vaud). «Ces personnes vivent dans une zone de non-droit. On demande à la charité privée de prendre en charge la survie de populations indispensables au bon fonctionnement de notre société», renchérit la travailleuse sociale.
La législation fédérale en matière de régularisation est très restrictive. Dans son rapport de décembre dernier, on peut lire que «le Conseil fédéral rejette la solution d’une régularisation collective ou partielle unique du séjour des sans-papiers». Pourtant, la Suisse a des besoins avérés en main-d’œuvre étrangère. Notamment dans les secteurs de la construction, de la restauration et de l’économie domestique - garde d’enfants, soins aux aînés, ménage… Sophie Mayerat évoque le «travail au gris» de ces personnes, pour lesquelles «la Loi sur le travail ne s’applique pas et le contrat-type fédéral n’est pas contraignant - excepté sur le salaire minimum».
Vincenzo Sisto, conseiller communal à Renens (La Fourmi rouge) et président du groupe d’intérêts des migrants d’Unia Vaud, observe que «tout le monde n’est pas égal devant le virus. Les sans-papiers affrontent une inégalité supplémentaire»: moindre accès aux tests de dépistage, risques sanitaires plus élevés. Le CSP a été débordé et a dû mettre en place «de véritables mesures d’urgences humanitaires, développe Sophie Mayerat. En 2020, on a aidé quelque 1500 personnes, dont 84% sans statut légal, grâce à une aide de 2 millions de francs cofinancée avec la Chaîne du Bonheur, Caritas… 82% de cette aide concernait les loyers.» De fait, la pandémie a signalé des conditions de logement encore plus précaires que supposé. «Certains paient tous les mois 1000 francs pour pouvoir occuper un lit dans une chambre partagée avec cinq autres personnes. Le sous-bailleur peut empocher 15000 francs pour un appartement qu’il loue 1500 francs. Les lits sont payés cash, sans contrat de logement.»
«Cette pandémie n’a rien révélé. Elle a démultiplié. Les sans-papiers ne sont pas plus entendus qu’avant», dénonce Marie Saulnier Bloch, qui intervenait à distance lors de la conférence de Renens. «Ces populations ne sont pas précaires mais précarisées, insiste la juriste. Elles sont entravées, humiliées, vivent dans l’angoisse d’être dénoncées et renvoyées.»
Comment une telle situation peut-elle persister dans notre pays? Au niveau fédéral, on estime que le filet social est efficient, tout comme l’examen des situations individuelles. De plus, la lutte contre l’illégalité est devenue une priorité. «On est donc face à un problème structurel, légal et moral, résume la juriste. Les lacunes institutionnelles dans la gestion de la crise du Covid-19 ont créé des situations dramatiques. La plupart des sans-papiers ont un travail! Il est urgent qu’ils et elles puissent s’adresser aux services de santé, signer des contrats de travail, bénéficier du chômage…»
Des travailleurs à la merci de leur employeur
«On compte 12000 à 15000 personnes sans papiers sur Vaud. Le Canton en régularise une cinquantaine par an, rapporte Byron Allauca, cofondateur en 2002 du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers. Depuis le début de la pandémie, Berne n’a pas débloqué un centime pour l’économie domestique et le Conseil d’Etat vaudois nous a répondu qu’une telle aide serait “trop compliquée à distribuer”. Mais si on veut, on s’en donne les moyens!» Entre la peur du coronavirus et le télétravail, nombre de personnes en charge du ménage ou de la garde d’enfants ont perdu leur emploi. «Les sans-papiers sont dépendants du bon vouloir de leurs employeurs. Si ces derniers refusent de payer une employée de maison (comme ils en ont l’obligation s’ils lui demandent de ne pas venir travailler), l’employée n’a aucun moyen d’action», souligne Byron Allauca. Le militant originaire d’Equateur, sans-papiers pendant onze ans et aujourd’hui formateur aux Transports publics lausannois, précise que beaucoup se sont endettés pour ne pas être mis à la rue. D’autres ont cessé de payer leurs assurances maladie (qu’ils sont tenus de souscrire aux termes de la LAMal), renforçant ainsi les risques sanitaires… et celui de se faire renvoyer. «Quand on est sans-papiers, chaque matin on se lève avec la peur d’un contrôle. Le problème des sans-papiers, c’est qu’ils ne votent pas. Ils ne rapportent rien aux élus. Avec le projet Papyrus Vaud (du nom de l’opération menée par Genève, qui a régularisé 2390 sans-papiers en 2017-2018), qu’on porte avec 33 autres organisations, on veut sensibiliser le Conseil d’Etat au problème de leur statut.»
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