La valeur de notre identité
L’idée s’avère bonne. Mais non sa mise en œuvre. Et c’est bien ce dernier point qui devra retenir toute l’attention des votants le 7 mars prochain appelés à se prononcer sur la Loi sur les services d’identification électronique (LSIE) combattue par référendum. Cette législation vise à sécuriser et à simplifier les transactions sur Internet comme le commerce en ligne ou des prestations administratives via l’émission d’une sorte de passeport web. Ce document virtuel se substituerait alors aux noms d’utilisateurs et aux mots de passe nécessaires à de nombreuses opérations en ligne. Un progrès technologique indéniable face à la multitude de sésames d’une sûreté douteuse circulant sur la Toile et dans nos têtes. Mais la concrétisation du projet pose problème. Et pour cause.
La loi veut confier sa réalisation à des entreprises privées orientées vers le profit, quand bien même il s’agit du traitement de données officielles sensibles. Ces sociétés seront alors responsables du développement et de la distribution de l’identifiant unique, e-ID. Une situation décriée par une large alliance d’organisations, dont les syndicats, de partis ainsi que par huit cantons. Qui dénoncent le désengagement de la Confédération en la matière alors même que la délivrance de pièces d’identité fait partie de ses tâches fondamentales. Et on se demande pourquoi il en serait autrement dans le monde digital? L’identité officielle, miroir de nos informations personnelles, n’est pas un bien de consommation. Déléguer cette tâche éminemment régalienne comporte des conséquences dangereuses. Comment s’assurer en effet que les sociétés en lice pour remplir cette fonction n’en fassent pas un usage abusif? En passant la main à des banques, assurances, ou caisses maladie déjà dans les starting-blocks en cas d’acceptation de la LSIE, on peut, sans tomber dans une paranoïa excessive, s’interroger sur les risques de croisement et de marchandisation des données. La question des prix qui seront pratiqués génère aussi des inquiétudes, promettant d’ores et déjà un recours à ce passeport numérique différencié selon les moyens financiers des usagers. Et, partant, des standards de sécurité distincts tributaires de ce facteur. Avec, dans le futur, un marché de passeports au rabais ou de luxe en fonction des budgets des uns et des autres, la loi ne donnant aucune précision sur le plafonnement des prix. La concurrence que ne manqueront pas de se livrer les fournisseurs en tentant d’attirer un maximum de clients aura aussi pour effet d’imposer de plus en plus de processus et de services opérationnels uniquement en ligne – déclaration d’impôts, assurances, ouverture d’un compte bancaire, etc. – au détriment du papier. Une situation qui pourrait bien laisser une frange de la population sur le carreau, notamment les personnes âgées. Dans l’ombre de l’e-ID, demain, de grandes multinationales étrangères comme Apple, Amazon, Google, etc., pourraient, elles encore, entrer dans la course.... Des noms guère rassurants dans le traitement de données personnelles. Et cela alors qu’à terme, le vote en ligne creusera aussi son sillon exposant les votants à des publicités ciblées pour orienter leur choix.
Dans ce contexte, seule une carte d’identité numérique délivrée par l’Etat et soumise à un contrôle démocratique obtiendra la confiance de la population; et la fiabilité requise au processus. Rejeter la LSIE, c’est permettre à la Suisse de devenir une pionnière du service public numérique. Et refuser d’ouvrir la voie à la privatisation de bon nombre d’autres prestations tout en promouvant une égalité d’accès.