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Le climat politique se détraque

Jérémy a enfin été libéré jeudi dernier. Soupçonné par la justice d’avoir bouté le feu à deux engins de chantier dans une gravière genevoise du groupe Lafarge Holcim en janvier 2022, ce militant pour le climat de 23 ans était détenu depuis près de trois mois. Quelques jours auparavant, 200 personnes avaient manifesté pour dénoncer une arrestation politique. Incarcéré dans la prison vétuste et surpeuplée de Champ-Dollon, le jeune homme n’a eu le droit qu’à une heure de parloir par semaine pour voir sa famille et ses amis. Malgré la contestation des faits et le manque de preuves, cette longue détention était justifiée au nom du risque de collusion. Elle paraît néanmoins disproportionnée au regard du délit, peu compatible avec l’Etat de droit et inacceptable dans une démocratie qui se veut libérale. Elle semble être la marque d’un raidissement de la bourgeoisie et des autorités face au mouvement pour le climat.

Alors que les effets catastrophiques de la crise climatique et écologique se font sentir aux quatre coins du monde, les militants qui, au travers d’actions symboliques et de désobéissance civile, manifestent leurs inquiétudes, contestent les politiques choisies et proposent des alternatives font de plus en plus l’objet d’une répression implacable. C’est particulièrement vrai en France. Rappelons que le 25 mars dernier, la manifestation contre la construction d’une retenue d’eau à Sainte-Soline s’était soldée par 200 blessés chez les manifestants, dont 40 grièvement touchés par des éclats de grenades de désencerclement et des tirs de balles dites de défense. Et une procédure de dissolution pour l’association Les Soulèvements de la Terre. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait qualifié les militants anti-bassines d’«écoterroristes» – comme si on pouvait mettre dans le même sac les tueurs du Bataclan et les défenseurs de la terre et de l’eau. Dans cette logique, celui qui fait passer l’extrême droite pour des mous du genou a confié à l’unité antiterroriste de la police le soin d’arrêter la semaine dernière une quinzaine de personnes dans la région de Marseille. Ces activistes s’étaient introduits en décembre 2022 dans la cimenterie Lafarge Holcim de Bouc-Bel-Air pour la «désarmer». Ils doivent certes rendre des comptes à la justice, mais nous ne devons pas accepter qu’ils soient considérés à l’égal de terroristes.

L’escalade de la répression, même si elle est moins prononcée que dans l’Hexagone, est en cours dans d’autres pays, comme en Allemagne, où les militants de Letzte Generation («Dernière génération»), connus pour leurs actions de blocage, sont dans le viseur du chancelier, qui les a traités de «détraqués» – c’est plutôt le climat qui se détraque. S’appuyant sur des expertises scientifiques, tous ces lanceurs d’alerte nous rappellent ce que nous cherchons sans cesse à oublier: face à la crise environnementale, les engagements des Etats sont largement insuffisants et, en plus, ils ne sont pas tenus. Faute d’arguments à opposer, il s’agit donc de tuer le messager et d’éviter que ces mouvements ne fassent tache d’huile. On peut voir les choses sous un autre angle: il y a encore des jeunes – et des moins jeunes – qui veulent changer le monde et nous pouvons nous en réjouir. Il n’y aurait rien de pire pour l’avenir qu’une jeunesse qui aurait perdu tout espoir.