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«Le consumérisme capte notre désir de vie»

File d'attente devant un magasin lausannois.
© Thierry Porchet

Le 18 janvier dernier, à la veille de la fermeture des commerces non essentiels en raison de la crise sanitaire, de longues files de clients se sont formées devant les magasins.

Le sociologue Michel Maxime Egger dénonce l'hyperconsommation. Pour en sortir, il appelle à des changements structurels mais aussi à une transition intérieure. Interview

Michel Maxime Egger est l'auteur de Se libérer du consumérisme, paru aux Editions Jouvence. Il y dresse un portrait implacable de la société consumériste, organisée en un système conçu pour monopoliser notre énergie. On lui a demandé de réagir à une étude publiée le 6 janvier dernier par Credit Suisse.


Portrait de Michel Maxime Egger.Les analystes se réjouissent de l'augmentation du chiffre d'affaires du commerce de détail helvétique en 2020, malgré le semi-confinement. Qu'en pensez-vous?

Cette période était l'occasion de revoir nos besoins et nos habitudes; or, l'étude de Credit Suisse montre que la consommation s'est reportée en ligne. Elle mesure aussi un effet rebond lié à des pulsions d'achats post-confinement plus élevées. Avec cette «consommation de rattrapage», dès mai 2020, on voit que le modèle n'a pas changé.

Les économistes associent forte consommation et «bon moral» des ménages. Vous écrivez cependant que consommer rend déprimé. Pourquoi?

Le système dominant, «croissanciste, productiviste et consumériste», pour reprendre l'expression de l'économiste Christian Arnsperger, prétend satisfaire notre quête du bonheur à travers une consommation croissante de biens matériels et immatériels. Or, les études menées sur le syndrome du «bonheur paradoxal» montrent que l'augmentation de nos possessions n'accroît pas notre sentiment de satisfaction. C'est vrai quand on commence très bas et qu'on répond à nos besoins fondamentaux, mais au-delà d'un certain seuil, c'est l'inverse qui se produit. La consommation excessive qu'on connaît dans nos pays riches génère du mal-être, des formes de stress, de saturation psychique, voire même de sentiment d’absurdité.

Ne faut-il pas simplement changer nos modes de consommation et soutenir le commerce de proximité?

Oui, bien sûr. Mais la question n’est pas là. Ce qui fait problème est la surconsommation à quoi conduit le système consumériste qui est devenu un mode d’être et de vie.

Justement, pourquoi écrivez-vous que ce système instrumentalise nos mécanismes psychiques les plus intimes?

Il veut nous faire croire qu'il peut combler nos besoins de sécurité, de réalisation de soi, d'appartenance au groupe, de reconnaissance de notre singularité... Le «Je pense donc je suis» de Descartes a fait place à «Je consomme, donc je suis». Le consumérisme exploite aussi notre peur du manque derrière laquelle se cache la peur de la mort: dans la psyché collective, alors que règne une abondance matérielle, certes mal répartie, les sociétés occidentales fonctionnent comme si elles vivaient encore en pénurie – une situation qu'elles ont connue pendant des siècles, quand la survie alimentaire n'était pas garantie. Enfin, le consumérisme capte notre puissance de désir – qui est à l'origine d’aspirations les plus élevées et de notre quête d'infini – et la dégrade en envies qu'il fait passer pour des besoins qu'il pourra satisfaire. Notre désir s'épuise dans la consommation, qui devient addictive: l'euphorie liée à l'effet de nouveauté retombe très vite et le marketing sait créer sans cesse de nouveaux «besoins»... Il faut dépenser pour ne plus penser.

En insistant sur les facteurs psychologiques de l'hyperconsommation, ne contribuez-vous pas à culpabiliser l'individu?

Non, car c'est bien un système organisé qui exploite nos ressorts psychiques. C'est d'autant plus difficile de sortir du consumérisme qu'il vit en nous. Avec la croissance illimitée de la richesse comme but ultime, la modernité occidentale nous a fait entrer dans le règne de la démesure. Sortir de ce système est essentiel, car il repose sur l'obsolescence programmée, le gaspillage, les montagnes de déchets... bref, sur tout ce qui détruit la planète. Recycler le PET et manger des carottes bios ne suffira pas. Il faut un véritable changement de paradigme. Individuel, mais aussi structurel.

Vous insistez sur le message des Pères de l'Eglise. Faut-il devenir chrétien pour être sauvé du consumérisme?

Pas du tout! Cette référence est liée à mon biotope spirituel, la tradition orthodoxe. Chacun choisit le cheminement intérieur qui lui convient. Un retour à l'essentiel est nécessaire pour aller vers qui je suis, assumer ma finitude mais aussi prendre conscience des mécanismes dans lesquels ce système d'accumulation nous maintient enfermés. Il ne s'agit pas seulement de consommer mieux (bio, local, éthique), mais surtout de consommer moins.

Vous faites l'éloge de la sobriété que vous qualifiez de joyeuse. Pourquoi?

La sobriété est la seule alternative crédible au système croissanciste, productiviste et consumériste. Joyeuse, car il ne s'agit pas de se frustrer, mais de créer du vide dans nos têtes et dans nos agendas pour s’ouvrir à une qualité de vie et que celle-ci s’accroisse. La transition intérieure implique la connexion aux autres, à la Nature, à l'invisible, ce qui permet d'accéder à un sentiment de plénitude.

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