Le droit de manifester au Tribunal fédéral

Le 14 juin 2023, la Grève féministe neuchâteloise avait décidé d'emprunter l'avenue de la Gare (photo d'archive), même si les autorités de la Ville n'avaient pas autorisé ce parcours.
La Grève féministe neuchâteloise fait recours contre une décision de la justice cantonale, qui a approuvé l’interdiction faite au cortège du 14 juin 2023 d’emprunter l’avenue de la Gare.
Il y a des libertés fondamentales sur lesquelles on ne transige pas. Pour la Grève féministe neuchâteloise, le droit de manifester en fait partie. Après avoir été débouté par la justice cantonale, le collectif a décidé de défendre celui-ci jusqu’au Tribunal fédéral, avec le soutien d’Unia et du Syndicat des services publics (SSP). En cause, le parcours emprunté par le cortège du 14 juin 2023, qui différait de celui décidé par les autorités.
La Ville de Neuchâtel voulait en effet que depuis la gare, la manifestation rejoigne le centre-ville en passant par une ruelle étroite et raide qui traverse un quartier résidentiel, plutôt que par l’Avenue de la Gare. Notamment pour ne pas perturber le trafic des transports publics. Mais les féministes, jugeant ce tracé inadapté et dangereux pour un rassemblement de près de 6000 personnes – dont des personnes âgées, des poussettes, des chaises roulantes – avaient tout de même pris l’Avenue de la Gare, comme elles avaient d’ailleurs été autorisées à le faire en 2019 sans que cela ne pose de problème. Auparavant, elles avaient déposé le 8 juin une demande de reconsidération auprès du Conseil communal, l’Exécutif de la Ville. Puis, devant son refus, fait recours au Tribunal cantonal le 12 juin.
Déni de justice
Dans un premier temps, ce dernier a jugé le recours irrecevable, mais en avril dernier, le Tribunal fédéral a donné gain de cause à la Grève féministe, en reconnaissant qu’il y avait là un déni de justice. Les juges neuchâtelois ont donc dû remettre l’ouvrage sur le métier et, le 9 janvier dernier, ils ont donné raison aux autorités communales. Mais les recourantes ne comptent pas en rester là et ont décidé de retourner défendre leur cause à Mon-Repos.
Solenn Ochsner, membre du collectif de la Grève féministe, et secrétaire syndicale à Unia Neuchâtel, se trouve en première ligne de ce bras de fer judiciaire, puisque c’est elle qui avait accepté d’endosser la responsabilité officielle du cortège. A ce titre, elle est d’ailleurs sous le coup d’une plainte pénale, toutefois suspendue en attendant le résultat de la procédure. Elle rappelle qu’il y a déjà eu un précédent, en 2021, avec la Grève pour l’avenir. «Il devient de plus en plus compliqué d’organiser des rassemblements à Neuchâtel, dénonce-t-elle. C’est pourquoi nous voulons aller jusqu’au bout.»
Son avocat, Me Olivier Peter, considère que la décision d’interdire au cortège féministe d’emprunter certaines artères est arbitraire et discriminatoire, puisque d’autres manifestations, comme la course à pied BCN Tour, y ont été autorisées. Il souligne que la liberté de réunion pacifique, garantie aussi bien par les constitutions fédérale et cantonale que par la Convention européenne des droits de l’homme, implique le droit de choisir la date et l’heure d’un rassemblement, ainsi que son lieu. «Les autorités ne peuvent pas faire n’importe quoi, estime-t-il. Il faut une base légale démocratique pour restreindre la liberté de réunion. Selon le droit international, les perturbations du trafic ne sont pas jugées comme une raison suffisante pour cela.»
Dans son recours, l’avocat note que la seule base invoquée par les autorités est le Règlement de police de la Ville. Mais à ses yeux, ce texte, qui est édicté par l’Exécutif, ne constitue pas une base légale formelle, autrement dit une loi adoptée par le pouvoir législatif.
Un enjeu plus large
L’enjeu dépasse largement les frontières neuchâteloises, car la question de l’exercice du droit de réunion fait débat dans plusieurs cantons, notamment en ce qui concerne le parcours des manifestations. «Dans notre rapport sur le droit de manifester en Suisse, publié en juillet, nous avons constaté des incompatibilités avec le droit international dans tous les cantons, indique Anita Goh, responsable de campagne à Amnesty International Suisse. En Europe, la Suisse est l’un des rares pays où il faut encore demander une autorisation pour organiser un rassemblement. Défendre le droit de manifester, c’est aussi une façon de défendre tous nos autres droits.»
Solenn Ochsner et Me Olivier Peter tendent toutefois une perche au Conseil communal, en l’appelant à reconsidérer a posteriori sa décision concernant le cortège féministe du 14 juin 2023, ce qui aurait pour effet d’annuler la procédure judiciaire en cours. Mais le cas échéant, et si le Tribunal fédéral les désavoue, il n’est pas exclu que l’affaire soit portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Programme du 8 mars
La défense du droit de manifester sera au coeur de la Journée des droits des femmes du 8 mars à Neuchâtel.
Stands d’information à La Chaux-de-Fonds et à Neuchâtel en début d’après-midi.
Rassemblement et prises de parole à 16h30 à la Place Pury, à Neuchâtel.
Le 15 mars aura lieu une table-ronde organisée par le collectif sur le droit de manifester. Le Balkkon, rue du Neubourg 20, Neuchâtel, à 16h.