Les LIP deviennent personnages de papier

L’histoire est connue des lecteurs de L’Evénement syndical. En avril 1973, à Besançon, le directeur général de l’entreprise LIP, une manufacture horlogère, démissionne. Après la nomination d’administrateurs provisoires, le dépôt de bilan et les suppressions d’emplois menacent les 1300 salariés du site. Avec le soutien des syndicats, les ouvriers et surtout les ouvrières, qui sont majoritaires dans la société, vont rapidement s’organiser. Pour eux, c’est «Non aux licenciements!» et «Non au démantèlement!». En faisant preuve d’une solidarité exemplaire, ces travailleurs ordinaires et anonymes vont alors développer des trésors d’imagination et de courage pour résister au rouleau compresseur d’un capitalisme soutenu par le gouvernement. A force de ténacité, le conflit occupera les devants de la scène médiatique et fera de ces hommes et de ces femmes de véritables héros et héroïnes.

Mais LIP: des héros ordinaires, c’est également la trajectoire de Solange. Pour cette ouvrière, ce combat s’apparente à un véritable parcours initiatique. De mère de famille sous la houlette d’un mari réactionnaire et hostile aux mouvements sociaux, la jeune femme devient rapidement une actrice convaincue de la lutte. Le tout agrémenté d’une histoire d’amour avec un militant syndical…

«L’empreinte est toujours là»

Au fil des pages de ce roman graphique, c’est un récit fidèle, réaliste, humaniste et éducatif qui se construit. Un récit qui saura expliquer, de manière simple et claire, les tenants et les aboutissants politiques et économiques de cette bataille. Parallèlement, il accorde une belle place à toute une galerie de personnages réels ou fictifs en développant des histoires intimes et en mettant l’accent sur les doutes, les peurs et les convictions des uns et des autres. Un dessin sobre et efficace participe au didactisme de l’ouvrage. Quelques photos d’époque viennent finalement ancrer cette chronique dans la réalité.

«Tant d’années plus tard, […] l’empreinte est toujours là», affirme Jean-Luc Mélenchon, auteur de la préface de cette bande dessinée. Le politicien français et jeune militant d’alors analyse: «Le principal résultat d’une lutte n’est pas seulement dans son débouché. Il est peut-être fait davantage de ces connivences innombrables qui conduisent tant de gens à s’identifier à d’autres jusqu’à ressentir leur combat comme une affaire personnelle et pour ainsi dire intime. […] LIP, ce n’était pas seulement un combat ouvrier contre la brutalité patronale et les combines cupides de la multinationale suisse Ebauches SA. C’était comme une aube qui semblait se lever. […] Pour mes jeunes camarades comme pour moi, les ouvriers en action annonçaient un modèle de société future.» Des paroles d’optimisme qui font de LIP: des héros ordinaires un ouvrage toujours actuel qui vient légitimer et encourager les luttes sociales et syndicales! Et Jean-Luc Mélenchon d’affirmer: «Un jour viendra, couleur d’œillet, où le travail cessera d’être une malédiction!»

Laurent Galandon, Damien Vidal, LIP: des héros ordinaires, Editions Dargaud, 2023 (format de poche).