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«Les victimes ne doivent plus se sentir seules!»

horloge
© Thierry Porchet

«Le temps presse.» Le 14 juin de l’année dernière, les horlogères de la vallée de Joux avaient rappelé leurs revendications lors d’une journée d’action au Sentier.

Afin de préparer la grève du 14 juin 2023 et les négociations conventionnelles, un sondage est lancé dans l’horlogerie sur les discriminations et le harcèlement au travail

Cent jours avant la grande grève féministe du 14 juin 2023, à l’occasion du 8 mars, Unia a lancé sa campagne de mobilisation à travers une vidéo mettant à l’honneur la vallée de Joux, là où tout a commencé en 1991. C’est dans ce fleuron de l’horlogerie romande qu’est née la première grève des femmes et, en vue de préparer sa troisième édition, Unia lance dès demain, 16 mars, un large sondage auprès des employées et des employés de l’horlogerie sur le thème des discriminations et du harcèlement, moral et sexuel.

«Nous sommes partis du constat que, ces dernières années, de plus en plus de personnes poussent la porte du syndicat pour dénoncer des cas de ce type à la vallée de Joux», explique Nicole Vassalli, secrétaire syndicale chez Unia. Est-ce dû à la libération de la parole permise par le mouvement #MeToo, ou bien est-ce qu’il y a tout simplement plus de cas qu’auparavant? Le sondage devrait pouvoir répondre à cette question.

Revendications

«Il était aussi important pour nous d’avoir des données qualitatives et précises pour cibler quel type de harcèlement ou de discrimination est le plus courant, qui en sont les populations concernées et si les événements ont eu lieu dans le passé ou le présent», poursuit la syndicaliste, qui ajoute que la peur dissuade non seulement les victimes à parler, mais aussi les témoins à agir.

Dès demain, Unia ira distribuer des tracts devant les entreprises horlogères pour inviter le personnel à répondre au sondage en ligne, à l’aide d’un QR Code. «Les personnes auront jusqu’à la mi-mai pour y répondre, après quoi nous analyserons les résultats et formulerons des revendications précises pour les horlogères en vue de la grève du 14 juin», informe Nicole Vassalli.

Les hommes seront aussi appelés à participer. «Nous avons été étonnés de voir beaucoup de cas de harcèlement moral envers des hommes, et ce n’est pas facile pour eux non plus de le faire savoir», ajoute-t-elle.

Négociations

Ce sondage sera également utile pour la branche, car les négociations conventionnelles sont actuellement en cours. «Les questions de harcèlement au travail seront discutées lors du renouvellement, l’idée sera donc de reprendre les revendications définies pour les soumettre aux employeurs.»

Unia aimerait connaître la position des salariés sur les personnes de confiance prévues par l’actuelle convention collective pour gérer les questions de discrimination et de harcèlement. «Pour nous, par exemple, il est délicat que ces personnes de confiance soient des personnes internes à l’entreprise, pense la secrétaire syndicale. Peut-être que de disposer également d’un organisme externe à la société serait mieux? On aimerait avoir l’avis des principaux intéressés.»

Oser dénoncer

Les personnes victimes de harcèlement ou de discriminations peuvent se tourner vers le syndicat Unia. «Il est important que les travailleurs signalent ces cas au syndicat, qu’ils soient collectifs ou individuels. De notre côté, nous devons être attentifs aux besoins exprimés par les victimes et analyser les possibilités d’actions», souligne Nicole Vassalli. «Nous avons déjà obtenu des résultats concrets et satisfaisants. Il y a de l’espoir, quand on est plusieurs, on arrive à faire bouger les lignes!» encourage la syndicaliste.

La vidéo Encore 100 jours jusqu'à la grève des femmes de 2023 est à découvrir sur:

instagram.com/unia_suisse ou youtube.com/UniaSuisse

instagram.com/reel/CpfQPMpO6dg/?igshid=MDJmNzVkMjY%3D

 

Réponse au sondage via le code QR:

 

 QR

 

Les horlogères de la vallée de Joux témoignent

 

Sylvie*, horlogère et militante

«A travers ce sondage, nous voulions transmettre aux employés de l’horlogerie victimes de discriminations et de harcèlement qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils peuvent être soutenus et que les choses peuvent changer. Dans notre secteur, même si le harcèlement sexuel existe, c’est plutôt le harcèlement moral qui domine. Ce sont des réflexions sexistes, racistes ou liées à la religion, et la plupart du temps entre collègues. Il y a globalement un manque de tolérance. Certaines victimes peuvent penser que c’est de leur faute, ou que c’est un malentendu, et elles restent seules face à cela, sans savoir vers qui se tourner ou quoi faire. Je crois que le harcèlement a toujours été là, dans nos entreprises, mais sans doute qu’avant, il était davantage toléré, à tort. La violence était intégrée comme la norme, c’est-à-dire que des mauvaises blagues racistes ou une tape sur les fesses pouvaient passer inaperçues. Aujourd’hui, ce n’est clairement plus le cas. Dans mon entreprise, il y a eu plusieurs gros cas de mobbing rapportés aux personnes de confiance, et les harceleurs ont dû prendre la porte.

Je me réjouis de voir ce qui va ressortir de cette enquête, car je pense que beaucoup de cas ne sont pas dénoncés par peur de représailles.»

* Prénom d’emprunt

 

Maria Antonia, opératrice en horlogerie depuis 18 ans et membre de la commission du personnel

«Je n’ai jamais été la cible de harcèlement, mais j’en ai été témoin dans mon atelier. C’était des remarques sexistes sur des jupes jugées trop courtes, des blagues de mauvais goût envers ma collègue homosexuelle ou encore des critiques pour dire qu’à cause des grossesses et des enfants, les femmes sont toujours absentes! Toujours venant de collègues hommes, souvent plus qualifiés. C’est vrai que je n’ai pas toujours réagi et, en tant que victime ou témoin, on a de la peine à le faire ou à dénoncer ces actes. On a aussi la sensation que cela ne servira à rien d’en parler. J’attends de cette enquête qu’on puisse prendre conscience que les discriminations et le harcèlement existent et j’espère que les victimes pourront en profiter pour dire ce qu’elles ressentent.

Un autre problème que j’aimerais dénoncer, c’est que, souvent, dans l’horlogerie, les femmes sont cantonnées aux postes d’opératrices, avec des salaires très bas. Les hommes ont les postes de régleurs et de chefs. Dans mon entreprise, certaines employées ont demandé à évoluer à des postes de régleurs et on a préféré recruter un homme de l’extérieur…

Nous devons nous battre pour l’égalité et faire entendre notre voix, alors allons toutes faire grève le 14 juin prochain!»

 

Catherine, déléguée syndicale Unia

«Dans l’horlogerie, les inégalités salariales entre hommes et femmes sont très importantes. C’est très dur à prouver, car il y a une grande confidentialité autour de cette question, mais on sait que ça existe et l’écart va de quelques centaines de francs à plus de 1000 francs par mois. Une étude parle de 24,9% de différence. Il faut en finir avec ces inégalités et il faut augmenter les salaires, beaucoup trop bas: j’ai des collègues femmes dont les rémunérations n’ont presque pas évolué même après vingt ans d’expérience!

Je suis également scandalisée de la hausse de l’âge de la retraite des femmes. Elles vont cotiser une année de plus pour avoir des rentes toujours plus basses que les hommes. Cette réforme s’est faite sur notre dos!

Un autre gros problème dans notre branche pour les femmes, c’est la maternité. A l’annonce de leur grossesse, certains responsables leur disent qu’elles n’auront pas d’augmentation l’année suivante, car elles partent en congé maternité. C’est aberrant d’être pénalisée parce qu’on est enceinte. De même, les futures mamans sont parfois changées de poste en prévision d’une éventuelle absence afin de moins affecter la production.

Et puis, à leur retour, quand elles demandent des temps partiels, il est rare qu’elles obtiennent le pourcentage ou le jour de libre qu’elles souhaitent, et de plus en plus, elles doivent signer un avenant à leur contrat stipulant que le temps partiel n’est pas définitif et qu’elles peuvent être rappelées à travailler à temps plein. Psychologiquement, cela peut être vécu comme une pression.

Afin d’écarter ce “problème” de maternité, aujourd’hui, il n’est pas rare de retrouver dans les ateliers autant ou plus d’opérateurs que d’opératrices, alors que c’était l’inverse jusqu’ici.

Il y a encore beaucoup de chemin à faire!»

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