Les horlogères de la vallée de Joux témoignent
Sylvie*, horlogère et militante
«A travers ce sondage, nous voulions transmettre aux employés de l’horlogerie victimes de discriminations et de harcèlement qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils peuvent être soutenus et que les choses peuvent changer. Dans notre secteur, même si le harcèlement sexuel existe, c’est plutôt le harcèlement moral qui domine. Ce sont des réflexions sexistes, racistes ou liées à la religion, et la plupart du temps entre collègues. Il y a globalement un manque de tolérance. Certaines victimes peuvent penser que c’est de leur faute, ou que c’est un malentendu, et elles restent seules face à cela, sans savoir vers qui se tourner ou quoi faire. Je crois que le harcèlement a toujours été là, dans nos entreprises, mais sans doute qu’avant, il était davantage toléré, à tort. La violence était intégrée comme la norme, c’est-à-dire que des mauvaises blagues racistes ou une tape sur les fesses pouvaient passer inaperçues. Aujourd’hui, ce n’est clairement plus le cas. Dans mon entreprise, il y a eu plusieurs gros cas de mobbing rapportés aux personnes de confiance, et les harceleurs ont dû prendre la porte.
Je me réjouis de voir ce qui va ressortir de cette enquête, car je pense que beaucoup de cas ne sont pas dénoncés par peur de représailles.»
* Prénom d’emprunt
Maria Antonia, opératrice en horlogerie depuis 18 ans et membre de la commission du personnel
«Je n’ai jamais été la cible de harcèlement, mais j’en ai été témoin dans mon atelier. C’était des remarques sexistes sur des jupes jugées trop courtes, des blagues de mauvais goût envers ma collègue homosexuelle ou encore des critiques pour dire qu’à cause des grossesses et des enfants, les femmes sont toujours absentes! Toujours venant de collègues hommes, souvent plus qualifiés. C’est vrai que je n’ai pas toujours réagi et, en tant que victime ou témoin, on a de la peine à le faire ou à dénoncer ces actes. On a aussi la sensation que cela ne servira à rien d’en parler. J’attends de cette enquête qu’on puisse prendre conscience que les discriminations et le harcèlement existent et j’espère que les victimes pourront en profiter pour dire ce qu’elles ressentent.
Un autre problème que j’aimerais dénoncer, c’est que, souvent, dans l’horlogerie, les femmes sont cantonnées aux postes d’opératrices, avec des salaires très bas. Les hommes ont les postes de régleurs et de chefs. Dans mon entreprise, certaines employées ont demandé à évoluer à des postes de régleurs et on a préféré recruter un homme de l’extérieur…
Nous devons nous battre pour l’égalité et faire entendre notre voix, alors allons toutes faire grève le 14 juin prochain!»
Catherine, déléguée syndicale Unia
«Dans l’horlogerie, les inégalités salariales entre hommes et femmes sont très importantes. C’est très dur à prouver, car il y a une grande confidentialité autour de cette question, mais on sait que ça existe et l’écart va de quelques centaines de francs à plus de 1000 francs par mois. Une étude parle de 24,9% de différence. Il faut en finir avec ces inégalités et il faut augmenter les salaires, beaucoup trop bas: j’ai des collègues femmes dont les rémunérations n’ont presque pas évolué même après vingt ans d’expérience!
Je suis également scandalisée de la hausse de l’âge de la retraite des femmes. Elles vont cotiser une année de plus pour avoir des rentes toujours plus basses que les hommes. Cette réforme s’est faite sur notre dos!
Un autre gros problème dans notre branche pour les femmes, c’est la maternité. A l’annonce de leur grossesse, certains responsables leur disent qu’elles n’auront pas d’augmentation l’année suivante, car elles partent en congé maternité. C’est aberrant d’être pénalisée parce qu’on est enceinte. De même, les futures mamans sont parfois changées de poste en prévision d’une éventuelle absence afin de moins affecter la production.
Et puis, à leur retour, quand elles demandent des temps partiels, il est rare qu’elles obtiennent le pourcentage ou le jour de libre qu’elles souhaitent, et de plus en plus, elles doivent signer un avenant à leur contrat stipulant que le temps partiel n’est pas définitif et qu’elles peuvent être rappelées à travailler à temps plein. Psychologiquement, cela peut être vécu comme une pression.
Afin d’écarter ce “problème” de maternité, aujourd’hui, il n’est pas rare de retrouver dans les ateliers autant ou plus d’opérateurs que d’opératrices, alors que c’était l’inverse jusqu’ici.
Il y a encore beaucoup de chemin à faire!»