Funeste époque pour le journalisme. Depuis que l'ONU a décrété le 3 mai Journée mondiale de la liberté de la presse, il y a plus de trente ans, cette liberté reste un vœu pieux sur la majeure partie du globe. Pire, en 2024, elle est même menacée dans des Etats à forte tradition démocratique, où les mouvements populistes et d’extrême droite ont le vent en poupe. Souvent qualifié de seule véritable démocratie du Moyen-Orient, Israël – 101e sur 180 au classement RSF de la liberté de la presse – affiche un sinistre bilan. En six mois, plus de cent journalistes palestiniens ont été tués par l'armée israélienne à Gaza, alors qu'ils sont les seuls à pouvoir rendre compte de ce qu'il s'y passe, puisque l'enclave est interdite aux médias. Sauf à ceux invités aux «visites guidées» de Tsahal... Passons sur la situation en Russie, où la loi sur les «agents de l'étranger» permet – entre autres – de réduire au silence les journalistes critiques envers Vladimir Poutine et la guerre en Ukraine. Loi dont la Géorgie voisine est en train de s'inspirer. La liberté de la presse est devenue tout aussi illusoire dans la Hongrie de Viktor Orbán, où des proches du Premier ministre ont fait main basse sur les principaux médias pour les mettre à sa botte. Ces pratiques sont, hélas, symptomatiques des dictatures et autres régimes autocratiques.
Mais aujourd’hui, même des Etats soi-disant champions de la démocratie et de la liberté ne sont plus à l'abri de ces dérives. Aux Etats-Unis, Donald Trump, roi du media bashing, se prétend seul détenteur de la vérité avec son réseau social Truth. Son possible retour à la Maison-Blanche n'est pas de bon augure pour la liberté d'informer. Au procès du milliardaire à New York, un ancien patron de tabloïd est ainsi venu raconter comment il a fait de la désinformation en faveur du candidat républicain durant la présidentielle de 2016, allant jusqu'à acheter à prix d’or des témoignages embarrassants pour s'assurer qu'ils ne soient jamais publiés. Plus près de nous, en France, c'est un autre milliardaire, Vincent Bolloré, qui confond information et propagande, transformant son empire médiatique en caisse de résonance de l’extrême droite. Avec semble-t-il un certain succès, puisque le Rassemblement national est le grand favori des élections européennes.
Inquiétant, surtout quand on voit ce que l’extrême droite est capable de faire quand elle prend le pouvoir, comme en Italie. La polémique fait rage dans le pays après la censure, par la télévision publique RAI, du discours d'un intellectuel soulignant l'attitude ambiguë du parti de Giorgia Meloni envers le fascisme. En outre, un projet de «loi bâillon» visant la presse est prôné par la majorité gouvernementale. La Suisse s'en sort mieux au classement de RSF, arrivant en neuvième position, loin devant la France (21e) et l'Italie (46e). Mais la criminalisation, au nom du secret bancaire, des journalistes d’investigation, qui encourent jusqu’à trois ans de prison en cas de fuites de données, lui a valu d’être pointée du doigt par l’ONU. Et les centaines d’emplois supprimées ces derniers mois chez les principaux éditeurs de presse du pays sont aussi lourdes de conséquences. Car quand on dégraisse dans les rédactions – en général pour engraisser les actionnaires - cela se fait toujours au détriment de la qualité de l’information. Dans un monde de plus en plus polarisé, il est crucial de défendre une réelle liberté de la presse, indépendante et plurielle. C’est l’ultime rempart contre la désinformation et la manipulation de l’opinion.