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Passeuse d’émotions

Portrait de Chloé Zufferey
© Thierry Porchet

«Jouer, c’est expérimenter nombre de vies», note Chloé Zufferey, à l’aise dans tous les rôles.

Se produisant actuellement en Valais, la comédienne Chloé Zufferey trouve dans son art un puissant supplément de vie

«Une transe. Un shot de vie à la puissance 1000. Une fête. Ma raison d’exister.» Chloé Zufferey cherche des mots suffisamment forts pour exprimer son ressenti sur scène. Une émotion qu’elle entend communiquer à son public, plus intéressée par ce souci de partage qu’un besoin de se trouver dans la lumière. «Je me définis comme une passeuse entre un texte qui m’a fait vibrer, voyager, et les spectateurs», précise de sa voix chaude la sympathique Valaisanne de 28 ans, passionnée par Brecht, Victor Hugo, Prévert ou encore Verlaine. «Jouer, c’est expérimenter nombre de vies, découvrir toute une gamme de personnages avec leur zone d’ombre, leurs nuances, leur façon de penser. Cet art m’enrichit et a aiguisé ma tolérance», s’enthousiasme la comédienne, qui a débuté dans un registre comique avant de se tourner également vers la tragédie. «Ce genre agit aussi comme exutoire, m’aide à défaire les petits ou grands nœuds de mon parcours, à décompresser. Mais j’aime toucher à tout, je n’ai pas de préférence particulière. Les répertoires fonctionnent sur le principe des vases communicants, la chimie des sentiments. Comme les deux facettes du clown, drôle et triste à la fois», ajoute la jeune femme, qui s’est aussi frottée au cinéma, jouant dans le film De son vivant, sorti en 2021. Cette réalisation d’Emmanuelle Bercot, réunissant Benoît Magimel et Catherine Deneuve, a été présentée au festival de Cannes.

Trac omniprésent

«Un grand moment d’effervescence comme je n’en ai pas beaucoup vécu. J’étais particulièrement stressée.» Pas de quoi lui donner la grosse tête pour autant. Chloé Zufferey évoque cette expérience avec simplicité, insistant à plusieurs reprises sur la chance «formidable» qu’elle a eue. «J’ai été repérée par la cinéaste en cours. C’est la première fois que je participais à une aussi grosse équipe et une telle production. J’étais aussi enthousiaste qu’inquiète, craignant de ne pas parvenir à donner autant que l’on reçoit alors», poursuit celle qui passe volontiers du plateau aux planches, estimant toutefois que le théâtre nécessite une rigueur différente et a le potentiel de rendre les comédiens meilleurs acteurs. «Le théâtre me met au travail. C’est une exigence de chaque instant, et durant toutes les représentations. Au cinéma, on cherche un espace de vérité et c’est dans la boîte.» Mais dans tous les cas, le trac s’invite dans la prestation. «Je l’accueille, je l’éprouve. Il est révélateur de l’importance que j’accorde à la qualité de mon travail. Et reste durant tout le spectacle», précise Chloé Zufferey confiant, à l’issue d’une représentation, être exténuée. «Je pourrais m’endormir juste après. Je rêve souvent, le rideau tiré, de partir en douce, vidée de toute énergie.»

Tous les jours mercredis...

Le plaisir de la scène, Chloé Zufferey y a goûté déjà gamine, prenant ses premiers cours de théâtre à l’âge de 5 ans. «J’étais une boute-en-train. J’aimais amuser la galerie. Mes parents ont estimé que l’activité me plairait.» A raison. Un an plus tard, la fillette d’alors annonce fièrement à sa maman qu’elle n’aura pas à se soucier de son futur, qu’elle deviendra comédienne. «Je voulais que ma vie ressemble à cette heure de fête du mercredi après-midi, jour des cours.» Sa maturité en poche, Chloé Zufferey passe à la vitesse supérieure. Et enchaîne les formations, d’abord au Conservatoire cantonal à Sion, puis à Paris, suivant l’Ecole de théâtre des enfants terribles avant d’intégrer le Conservatoire régional de la ville. La diplômée rejoint ensuite le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de la capitale française où elle travaille notamment avec Ariane Mnouchkine ou encore Louis Garrel, fonde une compagnie, se lance dans la mise en scène et enchaîne les pièces... Partageant sa vie entre Sion et la Ville Lumière, Chloé Zufferey souligne encore, dans les éléments formateurs de sa personnalité, l’année passée dans le Minnesota, aux Etats-Unis. «J’avais 15 ans. Un vertige de partir si jeune, si longtemps, sans voir mes parents. J’ai appris l’anglais, poursuivi ma pratique théâtrale et acquis des outils d’autonomie pour la vie.»

Eviter le malheur

Avant de rentrer en septembre à Paris où elle travaillera à une pièce autour du féminisme, Chloé Zufferey se produira dans L’Ours de Tchekhov. Une comédie présentée hors murs dans le cadre de la saison estivale du théâtre montheysan du Crochetan*. Entre deux, la Sédunoise peut encore profiter de marcher en montagne. «Cette activité me ressource. Elle m’a sauvée de plein de choses, dont l’insomnie. De nature un peu angoissée, j’apprends à cultiver la tranquillité.» La comédienne doit aussi calmer sa peur de n’être jamais rassasiée. «Je suis une insatisfaite chronique. Mais plutôt que de souffrir de cette situation, je l’utilise comme moteur.» Autre axe important dans sa vie: œuvrer à ce que «chaque jour compte». «C’est un peu ma devise», note la passionnée, qui associe le bonheur à l’évitement du malheur. «Il s’agit de l’identifier et de développer des tactiques pour y échapper. Je ne partage pas l’idée que “tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort”. Au contraire, le malheur nous endommage, nous use, nous fragilise.» Affirmant être aujourd’hui comblée, cette optimiste d’une grande réceptivité, timide et lumineuse, croit aux énergies, à une forme de vie invisible, ainsi que dans les êtres humains et dans «leur capacité à évoluer». Cette confiance ne l’empêche pas de souffrir d’éco-anxiété. «La dégradation de la planète me terrifie. Je m’empêche de prendre l’avion chaque fois que c’est possible», note celle qui aime particulièrement les oiseaux, mésange en tête, car ils lui inspirent une certaine légèreté, le sentiment que «rien n’est finalement trop grave». Dans le monde des plantes, le coquelicot, fragile et délicat, à la préférence de Chloé Zufferey. Qui, si elle ne s’était pas glissée dans le costume de comédienne, aurait revêtu celui de fleuriste. Une autre forme de langage sensible...

* A découvrir les 27 juillet, 3 août et 10 août.
Informations sur: crochetan.ch