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Pause WC déduite, «une pratique déshumanisante et humiliante»

Au Crêt-du-Locle, devant l’entreprise Sellita, Unia a installé une cabine de toilettes pour offrir un «pipi gratuit» au personnel obligé de timbrer pour se soulager.
© Olivier Vogelsang

Au Crêt-du-Locle, devant l’entreprise Sellita, Unia a installé une cabine de toilettes pour offrir un «pipi gratuit» au personnel obligé de timbrer pour se soulager.

Unia a mené une action devant l’entreprise horlogère Sellita, au Crêt-du-Locle, pour dénoncer la déduction des pauses pipi du temps de travail.

Abords de la gare du Crêt-du-Locle (NE), le 15 octobre, en fin d’après-midi. Vestes Unia et tracts en main, postés aux différentes issues de l’entreprise Sellita, des syndicalistes attendent la sortie des salariés. Ils ont installé à côté du bâtiment une cabine de toilettes mobile et s’apprêtent à offrir aux employés un pipi gratuit. But de leur démarche: dénoncer une pratique qualifiée d’immorale. La société contraint en effet les salariés à timbrer quand ils interrompent leur tâche pour aller au WC, une pause soustraite au temps réglementaire de travail. «C’est un scandale. Une manière de faire aussi déshumanisante qu’humiliante», s’indigne Solenn Ochsner, responsable du secteur industrie à Unia Neuchâtel, alors que Les premiers employés – dont une majorité de femmes – sortent par grappes des ateliers. Interpellées par ce singulier comité d’accueil, la plupart des travailleuses se limitent à accepter le tract. Certaines confirment toutefois au passage la situation dénoncée par Unia, mais ne s’attardent pas à la commenter. Et s’éclipsent le plus souvent tête baissée, cherchant à échapper aux médias qui tentent de les solliciter. 

Conséquences sur la santé

«La majorité des personnes actives dans cette société sont des femmes issues de l’immigration, avec des statuts précaires, qui craignent de s’exprimer par peur de perdre leur emploi», ajoute la représentante syndicale. Du bout des lèvres une jeune employée à l’accent espagnol soufflera tout de même juger la contrainte injuste avant de prendre rapidement congé, arguant qu’elle doit aller chercher sa fille. Une de ses collègues portugaises exprimera un timide «Merci» à la syndicaliste expliquant dans sa langue être là pour défendre leurs droits. 

Sellita n’est pas la seule entreprise à déduire les pauses WC de l’horaire de travail. Le sujet est toutefois revenu en force ces dernières semaines. La raison? Un juge cantonal, faisant fi des recommandations du Seco, a confirmé la légalité de la pratique. Un verdict loin d’être anodin pour Unia. Le syndicat s’inquiète de ses conséquences sur la santé du personnel et note avoir reçu ces derniers jours nombre de témoignages alarmants d’employés. «Certains nous ont expliqué se retenir de boire. Etre stressés d’aller au travail. Subir des remarques quand ils s’absentent ‘trop souvent’ pour aller au cabinet. C’est aussi clairement problématique pour les femmes, lors des périodes de menstruations, et pour les travailleurs âgés», souligne Solenn Ochsner, en précisant que l’action menée aujourd’hui vise non seulement à exprimer leur solidarité avec le personnel. Mais tend aussi à dissuader d’autres employeurs à adopter ce type de règlement.

Punition collective…

«Les patrons justifient la pratique en évoquant des abus. Mais si c’est vraiment le cas, faut-il punir tout le monde? Une discussion avec les personnes concernées devrait suffire à régler la question», estime la syndicaliste, en s’insurgeant encore «contre cette industrie du luxe qui fait preuve de telles bassesses à l’égard de son personnel». De son côté, un militant venu en soutien relève: «Des profiteurs, il y en a peut-être. Mais pas naturellement. Si les entreprises traitent correctement leurs salariés, ils n’auront pas besoin de chercher un refuge aux toilettes.» 

Les derniers salariés sont rentrés chez eux. Avant de quitter les lieux, les représentants d’Unia déposent encore à la réception de Sellita un paquet de couches culottes à l’intention de la direction, «histoire qu’elle ne perde pas de temps à se rendre au WC»… 

Sonya Mermoud


«On rajoute encore ça...»

Sébastien (prénom d’emprunt) travaille depuis plus de vingt ans dans l’horlogerie. Il y a un an et demi, il a été engagé par une entreprise neuchâteloise qui refuse elle aussi de rémunérer les pauses pipi. «Une décision qui prête à sourire. J’ai été étonné de l’apprendre à mon embauche. C’est la première fois que je dois timbrer pour aller au WC. Aussi, j’essaie de me rendre au petit coin pendant ma pause – 15 minutes par jour – que je peux, heureusement, prendre quand je veux», témoigne cet homme de 44 ans. Sébastien note n’être pas trop incommodé par cette situation, mais estime néanmoins qu’elle constitue une pression de plus de la hiérarchie – «On rajoute encore ça». Et se montre solidaire avec ses collègues. «C’est plus compliqué pour les femmes qui ont leurs règles ou les personnes à la santé fragile. Un de mes anciens collègues souffrait d’un problème de la vessie. Imaginez…» L’ouvrier relève encore que si la mesure vise à combattre d’éventuels abus, d’autres moyens auraient pu être mis en œuvre. «Reste que l’actuel battage médiatique autour de la thématique conduira peut-être les entreprises concernées à faire marche arrière.»
SM

Un jugement bâti sur un raisonnement «faux et bâclé»

Le spécialiste du droit du travail Jean Christophe Schwaab critique vertement l’arrêt du Tribunal cantonal neuchâtelois autorisant les employeurs à faire timbrer les pauses toilettes.

Pour la première fois en Suisse, un tribunal a tranché sur la légalité du timbrage des pauses toilettes dans les entreprises. Le 27 juin dernier, le Tribunal cantonal neuchâtelois a en effet conclu que les employeurs sont libres de déterminer si les pauses pipi constituent du temps de travail payé ou des pauses non rémunérées. La Cour de droit public avait été saisie d’un recours de la société Singer qui contestait l’injonction de l’Office des relations et des conditions de travail (ORCT) de mettre un terme à cette pratique. Son arrêt ne laisse pas indifférent le spécialiste du droit du travail Jean Christophe Schwaab, qui a décidé de lui consacrer un article scientifique. «Je suis sidéré par ce jugement dont je considère que le raisonnement est faux et bâclé», confie l’auteur du Droit du travail en Suisse et coauteur de l’ouvrage de référence Commentaire du contrat de travail.

Dans sa décision, le Tribunal cantonal précise que «la notion de pause n’est pas clairement définie dans la loi» et que «les pauses toilettes, à l’instar d’autres pauses de courte durée (téléphones privés, cigarettes, etc.), constituent en principe des interruptions du travail puisque le travailleur ne se tient pas à la disposition de l’employeur pendant cette période». «Le pire, selon moi, c’est de mettre ces pauses sur le même plan que les pauses cigarette, indique Jean Christophe Schwaab. Uriner est un besoin impérieux de tout être humain, il est même dangereux pour la santé de se retenir, alors que la cigarette est un choix personnel, une activité facultative, d’ailleurs déconseillée par les autorités et le corps médical. Un employeur peut refuser d’aménager un coin fumeurs et la pause cigarette, il ne peut éviter, par contre, qu’on se rende aux WC. Un autre argument contestable du tribunal, c’est la comparaison avec les appels privés. Il faut néanmoins différencier entre un coup de fil pour réserver une table au restaurant, qu’un employeur peut interdire, et un téléphone à son conjoint pour lui demander d’aller chercher en vitesse son enfant à l’école, qui relève des congés usuels. L’argumentation du tribunal est complètement fausse. Il compare des choses qu’on ne peut comparer. S’il faut comparer, alors les pauses pipi sont à classer dans les besoins impérieux.»

En outre, pointe le docteur en droit, «permettre aux gens d’aller au petit coin relève de la protection de la santé. Or, l’employeur a l’obligation de protéger la santé et de mettre en œuvre toutes les mesures en ce sens. Le temps d’enfiler un équipement de protection est, par exemple, du temps de travail payé et la pause toilette me paraît comparable. Je trouve dramatique que le tribunal ne se penche pas là-dessus, même s’il aurait pu arriver à d’autres conclusions que les miennes. Le tribunal n’était pourtant pas sans savoir qu’il allait faire une jurisprudence très scrutée et devait, dès lors, prêter attention au respect de la loi sur le travail.»

Dans son argumentation, le Tribunal cantonal s’appuie encore sur la liberté économique. «C’est du mépris que de considérer que les toilettes représentent un dommage économique pour l’employeur», juge l’ancien conseiller national (PS/VD).

La Cour reconnaît toutefois que ce timbrage entraîne une discrimination entre les hommes et les femmes. «Le tribunal se prend les pieds dans son propre tapis lorsqu’il admet que pour les femmes qui sont dans leur cycle menstruel ou enceintes le règlement doit être différent. C’est bien la preuve que, lorsqu’il y a un besoin physiologique, il faut une pause sur le temps de travail! Et ça montre à quel point la propre argumentation de l’arrêt ne tient pas!»

Jérôme Béguin

Vidéo d'Olivier Vogelsang.

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