La conciliation entre Holcim et les habitants de l’île indonésienne de Pulau Pari n’ayant pas abouti, ces derniers saisissent la justice afin que le cimentier prenne ses responsabilités
L’été dernier, nous relations le combat des habitants de Pulau Pari, une petite île en Indonésie frappée par des inondations liées à la montée des eaux causée par le réchauffement climatique (voir notre édition du 22 août). Une catastrophe pour cette île, qui après avoir déjà perdu 19% de son territoire, voit ses activités de pêche et de tourisme menacées. Quatre de ses habitants avaient alors décidé d’engager une action en justice contre le cimentier Holcim pour sa contribution aux changements climatiques. Une action inédite, émanant d’un pays du Sud et dirigée contre une multinationale, et pas un Etat.
Soutenus par l’Entraide protestante suisse (EPER), l’European Center for Constitutional and Human Rights et l’organisation indonésienne pour l’environnement WALHI, qui ont lancé la campagne Call for Climate Justice, les plaignants avaient soumis une requête de conciliation à Zoug le 11 juillet. L’audience y relative s’est tenue en octobre dernier, mais elle s’est soldée par un échec. «Lors de l’audience, Holcim n’a manifesté aucune intention de répondre à leurs demandes», rapporte un communiqué de presse. Les habitants de Pari et leurs soutiens ont donc convoqué de nouveau les médias la semaine passée pour informer qu’une plainte avait été déposée contre Holcim le 30 janvier 2023 devant le Tribunal cantonal de Zoug. «Notre existence est menacée, nous voulons que les responsables agissent enfin», s’est exprimée Asmania, propriétaire d’une maison d’hôtes à Pari, lors de la conférence de presse.
Revendications
Pour la première fois, une entreprise suisse devra répondre juridiquement de son rôle dans les changements climatiques. «Les quatre Indonésiens invoquent l’“atteinte à la personnalité” (art. 28 du Code civil suisse) causée par les émissions de CO2 disproportionnées de Holcim, tant passées que futures, qui ont entraîné des dommages (art. 41 de la Loi fédérale complétant le Code civil suisse) sur l’île», peut-on encore lire dans le communiqué.
Les plaignants ont toujours les mêmes revendications, à savoir une indemnisation pour les dommages déjà causés et une participation au financement des mesures de protection pour prévenir les dommages futurs. La requête financière s’élève à 20000 francs, soit 200 fois moins que les coûts réels. Par ailleurs, il est réclamé que le groupe réduise ses émissions de CO2 de 43% d’ici à 2030 et de 69% d’ici à 2040, par rapport au niveau de 2019. Des chiffres qui concordent avec l’objectif fixé par l’Accord de Paris pour le climat de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
Peut mieux faire
Pour rappel, Holcim est le leader mondial du ciment, servant à fabriquer le béton, et fait partie des 50 entreprises qui émettent le plus de CO2 au monde. Plus de 7 milliards de tonnes auraient été produites entre 1950 et 2021, soit plus du double de ce que comptabilise la Suisse durant la même période.
Les auteurs de la plainte et leurs soutiens estiment que les buts climatiques poursuivis aujourd’hui par Holcim sont insuffisants. D’ailleurs, une analyse* actuelle de la stratégie climatique du groupe, publiée par l’EPER, révèle que la multinationale fait trop peu pour réduire ses émissions, et qu’elle a commencé trop tard...
«Concrètement, le groupe prévoit surtout une réduction des émissions par tonne de ciment, et non une réduction absolue de ses émissions de CO2. Qui plus est, les méthodes de la Science Based Targets initiative (SBTi), l’organisation chargée d’évaluer et de valider les objectifs climatiques de Holcim, font l’objet de critiques.»
La balle est désormais dans le camp de la justice. Affaire à suivre…
*Retrouvez toutes les informations sur le dossier sur: callforclimatejustice.org/fr