Plus que deux ans pour dialoguer
L'égalité salariale entre femmes et hommes tarde à se réaliser, malgré la mise en place du Dialogue sur l'égalité des salaires
L'égalité dans 40 ans? Non, tout de suite! Bien que la Constitution fédérale prévoie depuis plus de 30 ans l'obligation de verser à l'homme et à la femme «un salaire égal pour un travail de valeur égale» et que la loi sur l'égalité entrée en vigueur en 1996 interdise aux employeurs la discrimination salariale, l'égalité peine à s'établir dans notre pays. L'enquête suisse sur la structure des salaires de 2010 montre que les écarts entre hommes et femmes se sont réduits de manière minime, soit de 0,9% seulement entre 2008 et 2010. A ce rythme, estime Unia, il faudrait 40 ans pour que l'égalité soit enfin établie...
Selon cette enquête, les femmes gagnent en moyenne 18,4% de moins que les hommes. Dans les secteurs où des salaires minimums sont garantis par des conventions collectives, cet écart est moindre. Dans l'hôtellerie-restauration par exemple, la différence est de 8%. Dans le commerce de détail, où la majorité du personnel n'est pas soumis à une CCT, elle est par contre d'environ 18%. Et l'écart est encore plus grand dans les banques et assurances (32,8%) et pour les femmes ayant un diplôme universitaire (près de 30%).
Partenaires sociaux et Confédération
Pour faire face à ces inégalités persistantes, les partenaires sociaux avaient lancé, il y a tout juste 3 ans, un projet de «Dialogue sur l'égalité des salaires». L'Union patronale suisse et l'Union suisse des arts et métiers d'un côté, et l'Union syndicale suisse (USS) et Travail.Suisse de l'autre, s'étaient associés dans cette démarche avec le concours du Bureau fédéral de l'égalité, de l'Office fédéral de la justice et du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). L'objectif du projet, débuté le 1er mars 2009 pour une durée de 5 ans, soit jusqu'en 2014, était d'inciter les entreprises à participer à ce dialogue afin qu'elles puissent, pour un coût très modeste, analyser la structure des salaires de leur société. Cela avec l'aide des services de la Confédération et d'un logiciel, Logib. La participation des entreprises au Dialogue sur l'égalité s'effectue sur une base volontaire, après avoir signé une convention avec le syndicat ou la représentation des travailleurs de leur choix. Par cette convention, la direction de la société s'engage à vérifier s'il n'y a pas de discrimination salariale et, si c'est le cas, à y remédier.
Nouveau souffle demandé, sinon...
En novembre de l'année dernière, un bilan intermédiaire du projet a été tiré. Un bilan décevant, selon les initiateurs. Ce mois-là, seules 16 entreprises privées ou publiques s'étaient engagées à participer au Dialogue sur l'égalité. Depuis, 4 nouvelles entreprises les ont rejointes portant à 20 le nombre total des sociétés engagées (voir encadré ci-dessous), et à 180'000 celui des employés concernés. Or il était prévu qu'au moins 20 entreprises y adhèrent chaque année. «Les partenaires sociaux doivent donner un nouveau souffle au projet et s'engager davantage pour que le Dialogue sur l'égalité des salaires figure en tête des priorités de leurs associations», indique le communiqué diffusé à l'issue de la conférence de presse du 14 novembre dernier, à laquelle participaient Thomas Daum, directeur de l'Union patronale, Paul Rechsteiner, président de l'USS et la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Le communiqué ajoute que si les progrès escomptés se font attendre, le projet pourrait prendre fin plus tôt que prévu. Il rappelle que ce Dialogue est une «tentative sans pareil de faire avancer le droit des hommes et des femmes à un salaire égal sans intervention dirigiste de l'Etat». Or cette intervention risque bien de devenir incontournable... Le point avec Corinne Schärer, responsable de l'égalité salariale à Unia.
Sylviane Herranz
«Beaucoup d'entreprises ont des choses à cacher»
Corinne Schärer, responsable de l'égalité salariale à Unia, fait le point sur le bilan intermédiaire mitigé du Dialogue sur l'égalité.
QUESTIONS/REPONSES
Seules 20 entreprises ont annoncé, en 3 ans, leur participation au Dialogue sur l'égalité des salaires. C'est dérisoire... Comment expliquez-vous cela?
Cela montre que la volonté patronale est absente et que cette démarche basée sur le volontariat n'a jusqu'à maintenant pas bien fonctionné. Cela révèle aussi que nombre d'entreprises ont des choses à cacher. Car les statistiques en matière d'inégalités salariales sont claires.
De nombreuses sociétés participant au Dialogue sur l'égalité l'ont fait sous la pression des syndicats. Or les associations patronales s'étaient aussi engagées, lors du lancement du projet, à user de leur influence pour inciter les entreprises à y adhérer. Qu'en est-il?
Ce projet est une initiative des partenaires sociaux et de l'Etat. Or l'absence d'impulsion et le faible nombre de participants montrent que les employeurs ne prennent pas le partenariat social au sérieux. L'association patronale n'a pas non plus suffisamment fait usage de son influence sur les associations de branche. Les 20 participants au projet révèlent de grands absents, comme les banques, les assurances ou le commerce de détail où les inégalités sont très fortes. D'autres branches, comme la restauration ou le nettoyage, sont très peu représentées. Dans ces branches, les écarts salariaux sont moindres mais les femmes, les plus nombreuses, y subissent une discrimination indirecte.
Parmi les 9 entreprises ayant terminé le Dialogue sur l'égalité, y a-t-il eu beaucoup de cas d'inégalités salariales à rectifier?
En général, la plupart des entreprises contrôlées ne présentent pas beaucoup d'inégalités. La Poste et Novartis par exemple avaient déjà contrôlé et rectifié leurs salaires avant d'adhérer au projet qui a démarré en 2009. Chez Novartis à Bâle, au début des années 2000, un gros mécontentement s'était exprimé sur la question des salaires, notamment sur les discriminations hommes-femmes. Une pétition avait été remise à la direction. Depuis, un processus interne s'est mis en place avec la représentation du personnel. Il a connu des hauts et des bas, mais a finalement abouti, en 2004, à une correction des salaires. Un tiers des cas contrôlés ont débouché sur une revalorisation salariale. Les personnes concernées ont touché un salaire beaucoup plus élevé qu'auparavant. Cela montre l'importance des discriminations qui existaient. Et c'est un beau résultat pour les employés qui se sont mobilisés!
Que peut faire une employée soupçonnant une inégalité salariale pour que son entreprise participe au Dialogue pour l'égalité?
Elle doit discuter avec ses collègues et interpeller la commission du personnel s'il y en a une pour que cette dernière puisse intervenir auprès de la direction. C'est important que cette employée ne fasse pas la démarche seule, car elle serait trop exposée. Lorsqu'il n'y a pas de commission, il faudrait qu'elle réunisse quelques personnes et qu'elle demande conseil et soutien au syndicat. Le syndicat devrait aussi être appelé lorsqu'une commission d'entreprise entreprend une telle démarche.
La loi sur l'égalité interdit la discrimination salariale, mais les entreprises qui ne la respectent pas ne risquent rien, car il n'y a pas de sanctions. Que faire pour les obliger à appliquer la loi?
Il ne reste plus que 2 ans, date de la fin du Dialogue sur l'égalité, pour que le patronat montre s'il est prêt à se saisir de cet outil de manière volontaire ou non. Si ce n'est pas le cas, il faudra prendre d'autres mesures. Elles sont possibles d'une part au niveau de la loi, en la rendant plus stricte et en introduisant par exemple un système de contrôle et d'inspecteurs comme cela existe avec les mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes. D'autre part, il faudra agir au niveau des négociations des conventions collectives où elles existent. Je pense qu'il faudra poursuivre sur ces deux pistes.
Propos recueillis par Sylviane Herranz
Les 20 entreprises engagées dans le Dialogue sur l'égalité des salaires
Entreprises ayant terminé «avec succès» le Dialogue:
Novartis Pharma SA, Bâle
La Poste Suisse, Berne
Syngenta SA, Bâle
ATE Association transports et environnement, Berne et Herzogenbuchsee
Administration cantonale bernoise
Swisscom SA, Berne
Ergon Informatik, Zurich
Administration de la ville de Berne
RWD Schlatter SA, Roggwil
Entreprises participant au Dialogue:
Tornos SA, Moutier
Audemars Piguet, Le Brassus
Administration fédérale, Berne
McDonald's Suisse
Honegger SA, Köniz
Ericsson SA Schweiz, Zurich
upc cablecom Sàrl, Zurich
Huber+Suhner SA, Pfäffikon ZH
Suva, Lucerne
Swiss International Air Lines, Zurich
Chemins de fer fédéraux suisses CFF, Berne
Source: www.dialogue-egalite-salaires.ch
Actions syndicales le 8 mars
Le 8 mars prochain, le syndicat Unia et l'Union syndicale suisse (USS) se mobiliseront à nouveau en faveur de l'égalité salariale et contre les bas salaires touchant plus particulièrement les femmes. En effet, les trois quarts des personnes gagnant moins de 4000 francs par mois sont des travailleuses. Unia offrira ce jour-là des roses aux vendeuses de certains magasins et à des employées de quelques entreprises industrielles. Un tract leur sera aussi remis, pour rappeler l'importance de se battre pour des salaires minimums de 4000 francs, pour des conventions collectives de travail et pour que leurs employeurs participent au Dialogue sur l'égalité des salaires.
L'USS organise une action devant le Palais fédéral afin d'exiger des parlementaires, en session ce jour-là, des mesures urgentes en faveur de l'égalité. «Nous voulons leur dire que le compte à rebours a débuté. Qu'il ne reste plus que 2 ans pour que le Dialogue sur l'égalité aboutisse à des résultats, faute de quoi, d'autres mesures, politiques, devront être prises», précise Corinne Schärer d'Unia, qui appelle toutes les femmes en ayant la possibilité à participer à l'action de l'USS.
SH
Rendez-vous: jeudi 8 mars, 7h30 devant le Palais fédéral à Berne.