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Pour que les pauvres puissent manger comme les riches

Le restaurant social Ekir à La Chaux-de-Fonds ajoute la saveur et la convivialité à ses repas populaires à 7 francs. Reportage

Ouvert début mars et fondé sur le bénévolat, le restaurant social Ekir (manger ensemble) à La Chaux-de-Fonds propose des repas complets à 7 francs, non seulement pour combler les besoins alimentaires de base mais aussi pour le plaisir de bien manger. Il est ouvert à toutes les couches de la population, histoire d'éviter que cela ne tourne en ghetto pour démunis. Ceux qui ont les moyens peuvent simplement payer davantage.

Heidi contemple avec un visible bonheur l'assiette qu'on vient de lui apporter. Salade variée agrémentée de petits lardons et d'une sauce originale à base de céleri. Ce n'est que le hors-d'œuvre. Suit un potage riche et onctueux à base de légumes, pommes de terre et herbes aromatiques fraîches. De quoi ouvrir la voie à un superbe feuilleté d'épinard au fromage avec hachis de viande de bœuf puis au dessert, une pomme au jus de vanille avec coulis de kiwi. «Je n'ai jamais de ma vie mangé aussi bien qu'ici. C'est comme dans un restaurant et même mieux.» Retraitée, cette ancienne aide de cuisine, connue pour son engagement envers les chômeurs, apprécie non seulement la qualité des repas que l'on sert ici, mais aussi le cadre. «Tout est bien propre, impeccable, ça fait plaisir de manger sur ces jolies nappes à carreaux.»

Avec un cybercafé...
C'est qu'ici, on tient à soigner la clientèle. «Pourquoi une cuisine populaire devrait-elle forcément être banale? Beaucoup de gens rencontrent des difficultés à manger convenablement, faute de moyens ou parce qu'ils sont isolés. Nous voulons qu'ils puissent manger comme les riches, avec des plats variés et des découvertes culinaires», explique Maria Bignens. Membre du comité Unia du groupe d'intérêts des migrants, cette femme qui lutte depuis plusieurs années contre l'exclusion est l'une des initiatrices et animatrices de ce restaurant social baptisé Ekir (manger ensemble), inauguré début mars, dans les anciens locaux de défense des chômeurs à La Chaux-de-Fonds. Le restaurant d'environ 25 places sert des repas de midi complets (entrée, plat principal et dessert) pour 7 francs avec les limonades ou café à 1 franc. L'établissement abrite en outre un «Cyberespace» doté de huit ordinateurs permettant de surfer sur le Net au prix d'un franc l'heure.

... et l'aide de bénévoles
Ceux qui animent l'établissement sont bénévoles. Exemple, Fantine, étudiante de 19 ans. «Je viens trois fois par semaine pour éplucher les légumes et aider au service. J'ai lu un article au sujet de ce restaurant dans L'Impartial et comme j'étais en recherche d'emploi avant de reprendre mes études à l'Université, j'avais envie de partager cette expérience pour me rendre utile, pour faire quelque chose de positif.» Autre exemple: Pierre Fideli, membre du comité des maçons d'Unia à La Chaux-de-Fonds, un militant de toutes les luttes populaires: «En hiver, sur les chantiers, je me retrouve au chômage technique, alors je viens aider ici.» Dès sept heures le matin, il nettoie la cuisine puis se charge des courses, du service et de la vaisselle. Il a aussi réalisé les rénovations de la cuisine avec des copains artisans.
Côté cuisine, plusieurs personnes se relaient au cours de la semaine. Boris (prénom d'emprunt), est l'auteur de l'excellent menu décrit plus haut. «Pourquoi me donner autant de peine? Mais simplement parce que je considère nos clients comme mes invités. Ici, j'ai la chance de pouvoir expérimenter des recettes, faire partager mes envies et mes inspirations, sans me laisser étouffer par une logique commerciale. J'ai autrefois fait des menus pour des bars et j'avais parfois honte de ce qu'on servait aux clients.»

Voyage culinaire
Les cuisiniers étant issus de cultures différentes, leurs repas offrent aussi des évasions culinaires, comme les spécialités concoctées par un groupe de Brésiliennes ou le couscous préparé par un bénévole tunisien. Au-delà de la variété des repas, le restaurant se veut un lieu de convivialité et de partage. «Nous ne voulions pas qu'il devienne un ghetto pour gens démunis. Il y a ici des personnes de toutes conditions sociales, un mélange entre ceux qui ont les moyens et ceux qui n'en ont pas. Cela favorise les rencontres, les échanges et cela permet aux gens de sortir de leur isolement.» Exemple, le jour de notre visite, Monique, une femme engagée dans le milieu associatif et qui vient «pour le plaisir des contacts» partage son repas avec Olga, une jeune Russe qui aimerait suivre une formation de palefrenière mais qui n'a pas les moyens de s'en sortir correctement et avoue «détester cuisiner». A la table voisine, deux jeune gens sont là «parce que c'est très bon et vraiment sympa». A l'évidence, ceux qui ont des ressources suffisantes déboursent spontanément davantage que le prix indiqué.

Coup de pouce espéré
Au chapitre des finances, l'aventure a démarré au gré de dons ainsi que de divers apports matériels, comme ceux d'Emmaüs qui a cédé deux congélateurs et une cuisinière de récupération ou encore la coopérative «Partage» qui a payé le premier mois de location (800 francs). Mais pour continuer sur sa lancée, Ekir compte sur un coup de pouce de la ville. «Neuchâtel compte deux restaurants sociaux subventionnés et nous espérons que La Chaux-de-Fonds suive cette voie, surtout avec la crise qui accentuera encore la pauvreté», plaide Maria, laquelle voudrait bien arriver à baisser le prix des repas à 4 francs pour les plus démunis. Mais pas question de renoncer à la qualité et la diversité des mets. «On espère bien obtenir le label Fourchette Verte.» Un label dédié à la cuisine de goût équilibrée et écologique mais auquel le restaurant Ekir ajoute une dimension sociale et solidaire.

Pierre Noverraz