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Réforme de l'imposition des entreprises un coût indécent

La campagne pour empêcher une gigantesque baisse d'impôts au profit des actionnaires

La troisième Réforme de l'imposition des entreprises, soumise au vote le 12 février prochain, occasionnera des pertes fiscales sans précédant qui affecteront les conditions de vie de la population et démantèlera les services publics au gré de programmes d'austérité à tous les niveaux.

«La troisième Réforme de l'imposition des entreprises (RIE III) est la plus importante baisse d'impôts de tous les temps.» Cette affirmation, Daniel Lampart, économiste en chef de l'Union syndicale suisse (USS), l'a prononcée à nouveau lors d'une conférence de presse la semaine dernière. Une conférence durant laquelle l'USS a avancé de nouveaux chiffres sur le trou qui sera creusé dans les caisses de l'Etat si cette réforme était acceptée en votation le 12 février prochain. Selon l'USS, en l'état actuel, les pertes de rentrées fiscales se monteraient à au moins 4 milliards de francs, soit 1000 francs par ménage! 1000 francs qu'il faudra compenser avec des hausses d'impôts pour les travailleurs et les retraités, ou par la baisse des prestations et des conditions de travail dans les services publics.
Largement contestée, cette réforme est le fruit des pressions de l'Union européenne et de l'OCDE qui exigent la fin des statuts spéciaux dont bénéficient certaines grandes entreprises. Or la RIE III ne se contente pas de supprimer ces statuts. Elle offre une gigantesque baisse d'impôts sur le bénéfice des entreprises. Le taux moyen passerait ainsi de 19% aujourd'hui à 14%. Outre le fait que cette baisse ouvre la voie à une nouvelle concurrence fiscale entre cantons - certains prévoyant des taux à 12% -, la réforme offre également aux entreprises une «boîte à outils» de nouveaux allégements fiscaux. La «patent box», la déduction de 150% des frais de recherche & développement et l'impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts permettront à certaines sociétés de réduire encore jusqu'à 80% leur charge fiscale.

Le chantage à l'emploi
Face à la levée de boucliers des syndicats et des organisations de gauche contre cette «arnaque» de la RIE III qui profitera essentiellement aux actionnaires des grandes sociétés - plus de la moitié des PME ne payant pas d'impôt sur le bénéfice -, les organisations de l'économie, l'Union suisse des arts et métiers en tête, et les partis de droite mènent une véritable campagne de désinformation et de mensonges. Ils assurent qu'un refus de la RIE III se traduira par la perte de milliers d'emplois. Or pour ce qui concerne les 24000 sociétés bénéficiant aujourd'hui de privilèges fiscaux, quelque 9000 au moins ne sont que des sociétés «boîte aux lettres», informe Unia. Ces entreprises peuvent être installées ici sans employer de personnel. Le canton de Lucerne, qui s'est lancé dans la sous-enchère fiscale en 2012 avec le taux le plus bas de Suisse (12,5%), a vu l'arrivée de nombreuses sociétés «boîte aux lettres», ne créant aucun poste de travail, ni impôt supplémentaire pourtant escompté par les autorités. Le déficit budgétaire s'est creusé et les mesures d'austérité touchent aujourd'hui les écoles, les bourses d'études et les institutions culturelles (voir Domaine Public du 5 janvier 2017). La baisse de l'imposition n'a pas empêché non plus le constructeur d'ascenseurs Schindler d'annoncer l'année passée la suppression de 120 postes de travail.
L'austérité nécessaire pour combler les trous dans les budgets de la Confédération, des cantons et des communes aura pour effet la destruction de milliers de postes de travail, dans les services publics ou parapublics, et dans les PME travaillant pour les collectivités. Elle détruira également les conditions-cadres sur lesquelles se basent les entreprises pour s'installer dans notre pays. Car ces dernières ne tablent pas uniquement sur des taux d'imposition favorables (la Suisse est à cet égard l'un des pays où le taux est le plus bas). Mais avant tout sur la qualité de l'éducation, de la formation, sur le savoir-faire ainsi que la qualité des infrastructures et la sécurité. Autant dire que si la RIE III passe la rampe des urnes, ces conditions-là vont se désagréger, comme elles l'ont été dans nombre de pays européens ayant joué la carte de l'austérité ces dernières années.

Sylviane Herranz

Plus d'informations sur les sites www.uss.ch - www.unia.ch

 

 




Santé, formation, sécurité: des conséquences partout
La santé publique, la formation et tous les services publics seraient touchés de plein fouet par la réduction massive des recettes fiscales dues à la RIE III. Dans la plupart des cantons, ces secteurs sont déjà sous le coup de mesures d'austérité ou de restrictions.

Au niveau de la santé, il manque par exemple 80 postes de travail aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) indique l'Union syndicale suisse dans un document. Pour les financer, il faudrait 7 millions de francs. Dans ce même canton, il manque aussi 160 postes dans l'aide à domicile. Et des coupes dans le secteur du handicap ont déjà eu des conséquences catastrophiques, certains patients ayant dû être hospitalisés d'urgence faute de médecin répondant ou de personnel pour leur administrer un médicament. La situation dans les homes est également dramatique, des résidents n'étant pas levés durant la journée...
L'austérité dans le secteur de la formation est aussi déjà à l'œuvre. A Lucerne, une semaine de vacances supplémentaire a été imposée aux écoliers pour faire des économies, les parents d'enfants handicapés devront payer davantage pour les classes spéciales, la cantine scolaire a été externalisée et les tarifs augmentent. A Neuchâtel, le nombre d'élèves par classe a été augmenté pour le secondaire II. En Valais, les demi-classes pour l'apprentissage des langues sont supprimées. Dans le canton de Vaud, le budget des écoles de musique est bloqué. A Genève, l'égalisation des salaires dans les écoles de musique a été refusée. A Berne, comme à Zurich ou en Argovie, le nombre d'élèves par classe augmente. Dans ce dernier canton, des enseignements spéciaux ont été supprimés et des leçons d'allemand, de mathématique, de géométrie et de musique le seront cette année. Zurich a aussi prévu la fermeture de deux ateliers d'écoles professionnelles concernant 86 places d'apprentissage en menuiserie et en couture. Partout, la charge de travail des enseignants est à la hausse.
Tous les domaines des services publics sont concernés par la RIE III, avec des coupes probables dans les subventions aux transports, aux crèches, aux piscines, aux musées et à tous les services proposés par les communes et les cantons. La sécurité publique, où les conditions de travail sont déjà difficiles, sera aussi affectée, d'où la ferme opposition de la Fédération suisse des fonctionnaires de police à la réforme.
SH

 

Des baisses d'impôts entre 10% et... 44%!
Les pertes fiscales occasionnées par la RIE III auront des conséquences financières énormes sur les recettes de la Confédération, des cantons et des communes. Selon les informations officielles de cette dernière, et même si le ministre des Finances Ueli Maurer se garde de donner des chiffres précis, les pertes dues à la baisse du taux d'imposition du bénéfice des entreprises s'élèveront à hauteur de 3 milliards de francs au minimum. A cela, il faut ajouter les pertes engendrées par les nouveaux allégements contenus dans la «boîte à outils» prévue par la nouvelle loi (patent box, déduction de 150% des frais de recherche et de développement, impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts). Des pertes évaluées par l'USS entre 1 et 1,5 milliard de francs. Soit au total plus de 4 milliards, sans compter les baisses de recettes dans les cantons n'ayant pas encore annoncé leur manière d'appliquer la réforme.
La diminution du taux d'imposition des entreprises dans les cantons où elle est connue oscille entre moins 10,2% aux Grisons et moins 44,2% à Genève! (voir tableau). En Valais, l'un des derniers cantons à avoir annoncé des chiffres, le taux passera de 21,56% à 15,56%, soit une baisse de près de 28%, avec à la clé une perte de 136 millions pour les collectivités alors que le Valais n'a pratiquement pas de société bénéficiant de statut spécial.
Selon l'USS, l'ensemble des pertes pour les cantons représente une diminution de 26% des recettes fiscales provenant de l'impôt sur le bénéfice des entreprises, dont le total s'élève actuellement à 11 milliards de francs.
SH