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Regroupement de la presse: attention danger!

Edipresse sera acheté par le groupe alémanique Tamedia. Les syndicats s'inquiètent pour la diversité de la presse et l'emploi

Tamedia acquerra un quasi-monopole des journaux en Suisse si la Commission de la concurrence ne s'y oppose pas. Vous avez dit liberté de la presse? Les journalistes sont en colère, mais restent fatalistes... Assistera-t-on à un sursaut?

Avec l'achat de l'empire médiatique Edipresse par son frère ennemi, le suisse alémanique Tamedia, c'est la majeure partie des quotidiens suisses qui passe aux mains d'un seul éditeur. De nombreux emplois pourraient disparaître. Ce rachat intervient dans un processus préoccupant de concentration de la presse depuis une vingtaine d'années. En Suisse romande, Tamedia bénéficiera d'une situation de quasi-monopole, le géant français Hersant disposant du reste. Les deux seuls quotidiens indépendants des grands groupes ayant survécu sont Le Courrier et La Liberté. Le point avec Christian Campiche, cofondateur de l'association «info en danger», vice-président du comité central du syndicat Impressum et journaliste économique à La Liberté.


Qu'est-ce qui explique selon vous l'achat d'Edipresse par Tamedia?
C'est essentiellement en raison de la lassitude de Pierre Lamunière, propriétaire d'Edipresse. Il a géré le groupe pendant 30 ans, après l'avoir hérité de son père et de son grand-père. Les autres raisons invoquées par Edipresse pour justifier le rachat, le rétrécissement du marché publicitaire et la montée de la publicité sur Internet, me semblent de simples alibis.

Quels sont pour vous les problèmes principaux posés par cette acquisition?
La disparition du Matin bleu, qui va occasionner la perte d'une vingtaine d'emplois, me fait craindre d'autres restructurations à l'avenir. Tamedia pourrait considérer qu'il y a d'autres doublons. Edipresse dispose de 35 titres, certains vont sans doute disparaître. Le cas du journal le Bund en Suisse alémanique est emblématique. Racheté par Espace médias, société contrôlée par Tamedia, le Bund est aujourd'hui en grande difficulté. Je regrette aussi que ce ne soit pas un groupe romand qui prenne la relève. Notre culture francophone risque d'en pâtir. Beaucoup de décisions seront prises à Zurich, notamment la nomination des dirigeants locaux. Je redoute également un renforcement de la pression des actionnaires, car il y a davantage d'actions en circulation chez Tamedia. L'action d'Edipresse était aussi moins volatile et dépendait davantage de la famille Lamunière.

La qualité des contenus et le rôle citoyen de la presse pourraient-ils en souffrir?
Il y a des risques que cela s'empire encore. Mais les journaux d'Edipresse ne sont pas un modèle en la matière. Bien au contraire. Cela est lié au modèle de ce type d'entreprise médiatique qui doit être lucratif et dépend des actionnaires et de la publicité. Du coup, on parle de la villa de Bertarelli et des bijoux de sa femme et on ne consacre pas cet espace aux problèmes au Soudan. De même, on s'étale sur le Forum économique de Davos et on passe presque sous silence les forums sociaux alternatifs.
La qualité des médias n'a eu de cesse de diminuer ces dernières années, c'est pour cela que nous avons créé l'association «info en danger».

L'emploi est-il aussi menacé dans les médias?
Oui, la profession de journaliste est sinistrée. J'ai appris que 80 personnes ont été licenciées ou ont démissionné sous la pression ces derniers mois. J'entends déjà autour de moi que Le Temps serait surdimensionné! Cela n'augure rien de bon. Aujourd'hui, la plupart des médias ne renouvellent plus les postes lors de départs.

Les journalistes s'engagent-ils pour défendre leur métier?
La mobilisation est en général faible chez les journalistes, si l'on excepte les récents débrayages à 24 heures et à L'Express et L'Impartial. Des collègues d'Edipresse m'ont rapporté à quel point ils étaient sidérés par le fatalisme qui règne aujourd'hui au sein des rédactions.

Propos recueillis par Christophe Koessler

Christian Campiche a publié à la fin 2008 un livre qui compile ses meilleurs textes depuis 10 ans, Le krach mondial, chronique d'une débâcle annoncée... Et après?, Editions de l'Hèbe. Voir aussi son site: www.radeaudelameduse.ch




«Le rachat doit être empêché»

L'annonce du rachat a surpris et scandalisé les syndicats. Comedia demande à la commission de la concurrence d'empêcher cette reprise, dénonçant l'établissement d'une position dominante dans la branche. Le syndicat déplore que les moyens financiers utilisés pour racheter Edipresse ne soient pas employés pour des investissements utiles. Il dénonce «un plan d'expansion spéculatif» de la part de Tamedia car le «prix de vente est excessif». Environ 500 millions de francs qui iront directement dans la poche de Pierre Lamunière, propriétaire d'Edipresse. Cette reprise «est la plus grande atteinte à la diversité des médias depuis longtemps. (...) Comedia combattra les menaces de fermeture d'entreprise, de liquidations de journaux et les suppressions d'emplois.» La fédération Impressum, la plus grande association de journalistes de Suisse, se dit «inquiète pour la diversité de la presse et de l'emploi». Elle se fait aussi du souci pour la Convention collective de la branche en Suisse romande (CCT), car il n'existe plus de CCT suisse alémanique, les associations patronales l'ayant dénoncée il y a quatre ans. Et Tamedia s'est toujours opposé à un accord conventionnel.

CK