Solidarité à géométrie variable
Une procédure simplifiée pour les uns, assortie d’une série de facilités; des tracasseries administratives et des obstacles à répétition pour les autres: dans son dernier rapport annuel, Amnesty International dénonce le double standard dans l’accueil des réfugiés en Suisse. Frontières grandes ouvertes pour les personnes fuyant la guerre en Ukraine, au bénéfice d’un régime de protection provisoire. Un statut qui leur offre l’accès à un logement, à la santé, à l’éducation et au marché du travail, restreint par la seule barrière de la langue. Traitement «différencié» pour les demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan, de Libye, de Syrie ou d’autre pays encore, cherchant eux aussi à échapper aux conflits et/ou à la répression. Ces derniers ne disposent pourtant clairement pas des mêmes largesses des autorités. Quand ils ne trouvent tout simplement pas portes closes. Deux poids, deux mesures, indéfendables. Une générosité à géométrie variable qui interroge. Comme si le droit à la sécurité n’était pas le même pour tous. Comme si les motifs de fuite de certains méritaient davantage d’attention et d’empathie que ceux d’autres catégories partageant pourtant des besoins d’assistance communs. Comme si, plus caricaturalement, il y avait les bonnes et les «mauvaises» nationalités. Les personnes qui nous ressemblent et celles qui dérangent, inquiètent et nourrissent les préjugés. Une approche sélective et un enjeu de taille portant sur le droit pour les intéressés de construire ou non un nouvel avenir chez nous. Avec, hélas!, parfois des drames à la clé. On n’oublie pas le récent suicide d’Ali Reza. Ce jeune requérant afghan débouté qui a préféré mourir plutôt que de devoir quitter Genève pour retourner en Grèce, pays par lequel il a transité. Un cas Dublin, comme on les nomme dans le jargon de l’asile, qui implique le renvoi dans l’Etat Schengen d’arrivée. L’application de cette réglementation se révèle particulièrement problématique lors d’expulsions vers la Croatie, reconnue et condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour atteinte à la vie de migrants. En dépit de violations répétées des droits fondamentaux des requérants d’asile, ignorant les alertes récurrentes des ONG, la Suisse poursuit sa politique inique de refoulement vers cet Etat. Et reste sourde aux témoignages effarants d’exilés rapportant des violences policières de natures physique, psychologique, raciste et sexuelle. Des victimes traitées comme des criminels qui ont subi une double peine: contraintes d’abord de quitter leur patrie, puis subissant, sur les dangereuses routes de l’exil, des brutalités en tous genres, se heurtant à des murs d’inhumanité. Pas de quoi émouvoir les autorités. Qui restent indifférentes aux requêtes d’associations actives dans le domaine de l’asile les conjurant de renoncer à leur pratique, à l’image de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés ou d’Amnesty International. Samedi dernier encore, une manifestation romande a été organisée à Lausanne pour réclamer un arrêt des renvois vers la Croatie. Des lettres ont aussi été adressées dans ce sens aux départements compétents et à la conseillère fédérale en charge du dossier.
Le Gouvernement helvétique n’est pas tenu d’appliquer le règlement Dublin. Il peut traiter directement les demandes d’asile à la lumière de motifs humanitaires: santé, présence d’un membre de la famille sur notre territoire, conditions d’accueil insatisfaisantes dans le pays de transit. Les cantons disposent eux aussi d’une marge de manœuvre. Et devraient refuser de se montrer complices de renvois indignes en s’abstenant de les exécuter. L’exemple positif de l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens démontre dans tous les cas qu’il est clairement possible de faire plus, mieux et différemment. De favoriser des voies d’accès sûres. Et ce envers toutes les personnes qui sollicitent notre protection. Il s’agit d’une simple question de volonté politique...