«Laissez-faire les marchés!» Une devise que l’on nous ressasse depuis des décennies. La «main invisible» régule notre économie. Ne l’empêchons pas d’agir. Le libéralisme ne doit être entravé d’aucune manière. Le moins d’Etat, c’est la garantie d’une conjoncture florissante… Ces vieilles rengaines au service du capital cachent une désolante réalité pour les populations de la planète. Au nom des marchés tout-puissants, combien de privatisations, de dérèglementations, de destructions de pans entiers de services publics? Combien de programmes d’austérité affamant les peuples, détruisant des acquis obtenus de haute lutte? Combien de conséquences délétères, comme l’a tristement rappelé la catastrophe ferroviaire survenue en Grèce le 28 février? Un pays qui, après la crise financière de 2008, a payé cher, très cher, le remboursement de sa dette en main des «marchés». Un pays qui a bradé ses infrastructures, ses ports, ses chemins de fer à des compagnies étrangères n’y voyant que source de profits. Cinquante-sept personnes, des jeunes pour la plupart, ont péri dans cette catastrophe consécutive à la privatisation et à l’incurie des acheteurs et de l’Etat. Ce drame n’est hélas qu’un exemple des conséquences du laissez-faire.
Aujourd’hui, les marchés sont au bord d’une nouvelle crise financière. Et déjà, le laissez-faire d’alors se tapit dans les salons feutrés des banques et du gouvernement. Et déjà, on prévient la population qu’elle aura à payer les pots cassés.
En 2008, l’UBS, happée par le tourbillon des subprimes, avait été sauvée avec plus de 40 milliards de francs octroyés par la Confédération. Quinze ans plus tard, c’est Credit Suisse qui est à l’honneur. Pardon, au déshonneur… Des sommes colossales sont à nouveau injectées dans le système bancaire helvétique, et par là mondial pour, selon les propres termes de la ministre des finances Karin Keller-Sutter, «contribuer à la stabilisation des marchés financiers internationaux». 50 milliards ont d’abord été mis à disposition de Credit Suisse par la Banque nationale (BNS) pour rétablir la confiance. Essai manqué… Quatre jours plus tard, le dimanche 19 mars, le Conseil fédéral annonçait le rachat forcé de Credit Suisse par UBS et informait de la mise à disposition par la BNS de 200 milliards, dont la moitié est garantie par la Confédération. Cette dernière allongeant encore 9 milliards pour UBS au cas où elle subirait des pertes à la suite de la reprise de sa concurrente. Au total 259 milliards, ou 259000 millions, pour sauver la place financière helvétique et celle de la planète. Un chiffre astronomique qui représente presqu’un tiers du PIB, ou plus de cinq fois le montant total des rentes AVS versées en une année…
Ces milliards ne seraient qu’une «solution commerciale», et non un sauvetage, a tenu à préciser Karin Keller-Sutter lors du fameux dimanche noir, au terme d’une semaine de négociations et de pressions internationales. Il s’agissait bien sûr, pour la ministre libérale, de ne pas perdre la face alors qu’elle déliait les cordons de la bourse de l’Etat.
Il faudra s’en souvenir quand, à la fin de l’année, Karin Keller-Sutter présentera son programme d’austérité. Depuis janvier, elle n’a cessé d’avertir que l’on devra se serrer la ceinture en 2024. Que le budget sera raboté de 2 milliards de francs. En cause, le non-versement des 6 milliards alloués par la BNS à la Confédération et aux cantons en raison des pertes de l’an passé. Il faudra s’en souvenir lorsqu’on nous dira qu’il n’y a pas d’argent pour du personnel supplémentaire dans les hôpitaux, pour des crèches, pour des aides aux primes maladie. Il faudra aussi se souvenir de cette semaine de mars où les milliards ont coulé à flot lorsque nous voterons sur la révision de nos caisses de pension et sur la 13e rente AVS!