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Stop à la criminalisation de la solidarité!
Un rapport d’Amnesty International exhorte les Etats européens à modifier leurs lois afin que les personnes venant en aide aux migrants ne soient plus sanctionnées
Dans toute l'Europe, des personnes sont poursuivies en justice et harcelées pour des actes de solidarité envers des réfugiés et des migrants. Partant de ce constat, Amnesty International a organisé simultanément, le 3 mars, plusieurs conférences de presse en Suisse, en France, en Italie et en Espagne pour présenter son nouveau rapport intitulé «Compassion sanctionnée: la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe».
Dans ce dernier, qui étudie des cas de défenseurs des droits humains poursuivis pour des motifs fallacieux entre 2017 et 2019 en Croatie, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, à Malte, au Royaume-Uni et en Suisse, l’ONG montre comment la police et les magistrats s'en prennent à des défenseurs des droits humains qui aident les migrants en utilisant des lois sur les étrangers, contre les passeurs ou des mesures antiterroristes.
«Les autorités cherchent à limiter et à dissuader les arrivées en Europe et considèrent comme une menace le simple fait d'aider les réfugiés et les migrants à se sentir accueillis ou plus en sécurité, a dénoncé Manon Schick à Berne, directrice d’Amnesty Suisse. En sanctionnant les gens qui redoublent d'efforts pour combler les lacunes des pouvoirs publics, les gouvernements européens exposent les personnes fuyant leur pays à un danger encore plus grand.»
Changer les lois
C’est pourquoi Amnesty International exhorte les gouvernements européens à modifier les lois régissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers de sorte que les personnes qui agissent par solidarité et compassion ne soient plus sanctionnées et criminalisées. Comment? «En intégrant dans la définition de ces infractions la condition d'un profit matériel injuste, suggère Rym Khadhraoui, chercheuse à Amnesty International et l’une des autrices du rapport. Cela empêcherait que ces lois soient utilisées pour sanctionner des actes de solidarité et d’humanité.»
Car concrètement, c’est le chef d'inculpation «aide à l’entrée irrégulière» qui est retenu contre les personnes et les ONG poursuivies pour diverses actions humanitaires et de solidarité, qu’il s’agisse d’un sauvetage en mer, d’un don de nourriture ou d’un hébergement. Dans son communiqué, Amnesty International rappelle le cas de Pierre Mumber, ce guide de haute montagne français qui avait été jugé pour ce motif après avoir offert du thé et des vêtements chauds à quatre personnes demandeuses d'asile originaires d'Afrique de l'Ouest.
Pourtant, le droit international et les directives européennes font une distinction très nette entre acte de solidarité et traite d’êtres humains, rappelle l’ONG dans son communiqué. «La lutte de l’ONU contre la criminalité des passeurs vise uniquement les faits où des avantages financiers ou matériels sont en jeu. Par ailleurs, dans sa déclaration sur la protection des défenseurs des droits humains, l’ONU appelle tous les Etats à protéger ces personnes et à ne pas les poursuivre pour leurs activités.»
Et la Suisse dans tout cela?
D’après les chiffres de l’organisation, 962 personnes ont été condamnées en Suisse en 2018 pour violation de l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), dont 900 ayant agi par solidarité, compassion, devoir familial ou dans le cadre d’un mariage. Même des cas de simple assistance familiale ou amicale ont été condamnés.
Alors que de nombreux pays européens prévoient une exemption de peine lors de motif humanitaire en ce qui concerne l’aide au séjour illégal, sanctionnant seulement les cas où «l’aide» est orientée vers le profit, la Suisse et sa législation jugée «rigide» par Amnesty sont de plus en plus un cas particulier. «En criminalisant les actes de solidarité, la Suisse ne respecte pas l’esprit du droit international.»
Cela dit, la donne pourrait changer, le Conseil national étant sur le point de traiter une initiative parlementaire déposée par Lisa Mazzone en 2018 pour «en finir avec le délit de solidarité». «Nous exhortons le Parlement à changer la législation pour que seules les personnes qui tirent un profit matériel injuste de l’aide aux personnes sans statut légal soient condamnées, a conclu Reto Rufer, expert sur les questions de l’asile à Amnesty International Suisse. A minima, la législation devrait prévoir une clause humanitaire qui permettrait de ne pas condamner les personnes ayant agi par solidarité. La solidarité n’est pas un crime et la Suisse doit montrer l’exemple.»