Syndicalistes coréens en colère
Mardi 25 septembre 2007
Une délégation syndicale coréenne a manifeté devant le siège de Tetra Pak à Pully pour protester contre la fermeture d'une usine
Suite à la fermeture de l'usine Tetra Pak de Yeoju, des syndicalistes coréens ont protesté devant le siège social du groupe, à Pully. Auparavant, la délégation s'est rendue sur le site de Romont pour sensibiliser les confrères suisses aux pratiques de la multinationale. Soutenus par Unia, les manifestants ont réclamé l'ouverture de négociations avec la direction. En vain.
Tableau pour le moins singulier, le 13 septembre dernier devant le siège social de Tetra Pak à Pully: poing levé, crâne rasé en signe de leur détermination, bandeau sur le front imprimé des idéogrammes «union et lutte», une poignée de syndicalistes coréens crie sa colère aux responsables de la multinationale. Sur leur dossard, on peut lire un «we want to work» (ndlr: nous voulons travailler); dans leurs yeux, une volonté à la mesure de leur mécontentement. Discours, slogans et chants de lutte énoncés dans la langue maternelle des manifestants ponctuent la démonstration où se mêlent quelques représentants d'Unia, solidaires avec leurs camarades asiatiques, et les drapeaux et banderoles rouges, blancs et jaunes des uns et des autres. Les visiteurs, membres de la Confédération des syndicats de Corée (KFCTU) et du syndicat de la chimie et du textile (KFCT) sont venus dénoncer les pratiques de Tetra Pak. Critiquée pour avoir fermé l'usine de Yeoju sans consulter les partenaires sociaux, la multinationale aurait de surcroît menacé le personnel de représailles s'il osait s'élever contre cette décision, prise en mars dernier.
Solidarité sans frontières
«Ces pratiques violent les directives de l'OCDE... Elles sont indignes d'une grande multinationale...», intervient, micro en main, Roland Conus, secrétaire central d'Unia. «Si la direction de Tetra Pak ne revient pas à de meilleures dispositions, si elle ne s'assied pas à la table des négociations, nous le ferons largement savoir de par le monde...» Applaudissements. Echanges de regards entendus à défaut d'une compréhension verbale mutuelle. Droits comme des «i», les Coréens reprennent la pause et scandent de nouveaux slogans. Une demi-heure s'écoule sous les regards curieux de personnes de Tetra Park, observant furtivement, du haut du toit de l'entreprise, l'étrange spectacle. Fin du second acte. Le premier ayant déjà été joué aux aurores, sur le site du groupe à Romont, où la délégation étrangère, toujours avec le soutien d'Unia, a sensibilisé les collègues suisses à la situation coréenne. Pas de quoi créer, sur le fond, de véritable surprise auprès du personnel de l'usine glânoise. Et pour cause, ce dernier a subi d'importantes purges ces deux dernières années, voyant ses effectifs passer de 240 à 131 personnes.
Echange de propos stérile
Le troisième acte accueille un nouveau protagoniste: Annika Hjelm, porte-parole de la société, sort de l'édifice de verre teinté pour dialoguer avec les manifestants. L'usine coréenne ne rouvrira pas ses portes. Sur ce site, explique-t-elle, 45% des volumes étaient destinés à l'exportation et ces volumes ont été interrompus en 2006. Le Japon, pays de destination des produits, prendra le relais. Aucune nouvelle discussion ne peut être programmée avec les syndicats qui ont déjà eu l'occasion de s'exprimer, le 5 septembre dernier, à Lund, en Suède, avec des dirigeants du groupe. L'interprète de la délégation traduit. Les Coréens insistent. Ils réclament un nouvel entretien avec les responsables. La séance en Suède les a laissés sur leur faim. Ils estiment n'avoir pas été entendus. Un va-et-vient stérile rythmé par les traductions s'instaure entre les deux parties. Chacun campe sur ses positions. Surprise par la démarche des Coréens, Annika Hjelm balaie les arguments antisyndicaux qu'ils énoncent. «C'est faux. Tetra Pak a respecté les droits locaux des travailleurs et proposé un plan social généreux. 74 des 96 employés licenciés l'ont d'ailleurs accepté.» Réaffirmant son refus d'ouvrir de nouvelles discussions sur le sujet, la multinationale précisera par ailleurs le lendemain, par écrit, que les employés de Yeoju se sont vu offrir des indemnités de départ représentant 12 à 36 mois de salaire, en fonction du nombre d'années d'ancienneté et que ces derniers ont pu encore bénéficier des services de conseillers pour retrouver du travail. Pour Tetra Pak, le processus de clôture du site s'est fait dans les règles de l'art, y compris avec le syndicat.
«Plutôt mourir que renoncer»
Un son de cloche démenti par les manifestants qui tiennent un tout autre langage. Ils parlent des pressions subies déjà bien avant la fermeture de l'usine, issue qui aurait constamment été brandie comme une menace s'ils n'acceptaient pas les conditions de l'employeur. Ces clauses comprendraient notamment la «suppression des syndiqués permanents, déclaration de renoncement à la grève, interdiction d'actions collectives durant le temps de travail...» La liste de doléances porte aussi sur les traitements partiaux réservés aux militants et des violations générales des droits des travailleurs telles que l'abus de sanctions, des réductions drastiques de salaire, le licenciement de personnes accidentées au travail... Dans ce contexte, faisant partie des 22 ouvriers ayant refusé les primes de licenciement, la délégation réaffirme sa détermination à poursuivre la lutte. Et ne croit pas à des dialogues possibles avec les dirigeants locaux de l'usine, comme l'invite la porte-parole. «Nous ne rentrerons pas en Corée avant d'avoir résolu le problème et continuerons, au besoin, notre combat en Europe», affirme Lee Sang-Jin, vice-président du KCTF. «S'il le faut, nous sommes prêts à mener une grève de la faim. Plutôt mourir que renoncer.» Pour Roland Conus, il y a derrière cette prise de position radicale, un élément majeur dont la portée n'a peut-être pas été bien mesurée par Tetra Pak: la question de la dignité.
Sonya Mermoud
Tableau pour le moins singulier, le 13 septembre dernier devant le siège social de Tetra Pak à Pully: poing levé, crâne rasé en signe de leur détermination, bandeau sur le front imprimé des idéogrammes «union et lutte», une poignée de syndicalistes coréens crie sa colère aux responsables de la multinationale. Sur leur dossard, on peut lire un «we want to work» (ndlr: nous voulons travailler); dans leurs yeux, une volonté à la mesure de leur mécontentement. Discours, slogans et chants de lutte énoncés dans la langue maternelle des manifestants ponctuent la démonstration où se mêlent quelques représentants d'Unia, solidaires avec leurs camarades asiatiques, et les drapeaux et banderoles rouges, blancs et jaunes des uns et des autres. Les visiteurs, membres de la Confédération des syndicats de Corée (KFCTU) et du syndicat de la chimie et du textile (KFCT) sont venus dénoncer les pratiques de Tetra Pak. Critiquée pour avoir fermé l'usine de Yeoju sans consulter les partenaires sociaux, la multinationale aurait de surcroît menacé le personnel de représailles s'il osait s'élever contre cette décision, prise en mars dernier.
Solidarité sans frontières
«Ces pratiques violent les directives de l'OCDE... Elles sont indignes d'une grande multinationale...», intervient, micro en main, Roland Conus, secrétaire central d'Unia. «Si la direction de Tetra Pak ne revient pas à de meilleures dispositions, si elle ne s'assied pas à la table des négociations, nous le ferons largement savoir de par le monde...» Applaudissements. Echanges de regards entendus à défaut d'une compréhension verbale mutuelle. Droits comme des «i», les Coréens reprennent la pause et scandent de nouveaux slogans. Une demi-heure s'écoule sous les regards curieux de personnes de Tetra Park, observant furtivement, du haut du toit de l'entreprise, l'étrange spectacle. Fin du second acte. Le premier ayant déjà été joué aux aurores, sur le site du groupe à Romont, où la délégation étrangère, toujours avec le soutien d'Unia, a sensibilisé les collègues suisses à la situation coréenne. Pas de quoi créer, sur le fond, de véritable surprise auprès du personnel de l'usine glânoise. Et pour cause, ce dernier a subi d'importantes purges ces deux dernières années, voyant ses effectifs passer de 240 à 131 personnes.
Echange de propos stérile
Le troisième acte accueille un nouveau protagoniste: Annika Hjelm, porte-parole de la société, sort de l'édifice de verre teinté pour dialoguer avec les manifestants. L'usine coréenne ne rouvrira pas ses portes. Sur ce site, explique-t-elle, 45% des volumes étaient destinés à l'exportation et ces volumes ont été interrompus en 2006. Le Japon, pays de destination des produits, prendra le relais. Aucune nouvelle discussion ne peut être programmée avec les syndicats qui ont déjà eu l'occasion de s'exprimer, le 5 septembre dernier, à Lund, en Suède, avec des dirigeants du groupe. L'interprète de la délégation traduit. Les Coréens insistent. Ils réclament un nouvel entretien avec les responsables. La séance en Suède les a laissés sur leur faim. Ils estiment n'avoir pas été entendus. Un va-et-vient stérile rythmé par les traductions s'instaure entre les deux parties. Chacun campe sur ses positions. Surprise par la démarche des Coréens, Annika Hjelm balaie les arguments antisyndicaux qu'ils énoncent. «C'est faux. Tetra Pak a respecté les droits locaux des travailleurs et proposé un plan social généreux. 74 des 96 employés licenciés l'ont d'ailleurs accepté.» Réaffirmant son refus d'ouvrir de nouvelles discussions sur le sujet, la multinationale précisera par ailleurs le lendemain, par écrit, que les employés de Yeoju se sont vu offrir des indemnités de départ représentant 12 à 36 mois de salaire, en fonction du nombre d'années d'ancienneté et que ces derniers ont pu encore bénéficier des services de conseillers pour retrouver du travail. Pour Tetra Pak, le processus de clôture du site s'est fait dans les règles de l'art, y compris avec le syndicat.
«Plutôt mourir que renoncer»
Un son de cloche démenti par les manifestants qui tiennent un tout autre langage. Ils parlent des pressions subies déjà bien avant la fermeture de l'usine, issue qui aurait constamment été brandie comme une menace s'ils n'acceptaient pas les conditions de l'employeur. Ces clauses comprendraient notamment la «suppression des syndiqués permanents, déclaration de renoncement à la grève, interdiction d'actions collectives durant le temps de travail...» La liste de doléances porte aussi sur les traitements partiaux réservés aux militants et des violations générales des droits des travailleurs telles que l'abus de sanctions, des réductions drastiques de salaire, le licenciement de personnes accidentées au travail... Dans ce contexte, faisant partie des 22 ouvriers ayant refusé les primes de licenciement, la délégation réaffirme sa détermination à poursuivre la lutte. Et ne croit pas à des dialogues possibles avec les dirigeants locaux de l'usine, comme l'invite la porte-parole. «Nous ne rentrerons pas en Corée avant d'avoir résolu le problème et continuerons, au besoin, notre combat en Europe», affirme Lee Sang-Jin, vice-président du KCTF. «S'il le faut, nous sommes prêts à mener une grève de la faim. Plutôt mourir que renoncer.» Pour Roland Conus, il y a derrière cette prise de position radicale, un élément majeur dont la portée n'a peut-être pas été bien mesurée par Tetra Pak: la question de la dignité.
Sonya Mermoud