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Un homme de défi

Autrefois maître de sport, aujourd'hui agent de sécurité, Smail Ait Mehdi rêve de renouer avec sa profession première

Smail Ait Mehdi est un homme de défi. Une qualité héritée de sa passion du handball, l'homme de 48 ans ayant joué dans l'équipe nationale algérienne pratiquant cette discipline. Et, de nature optimiste, ayant appris à ne jamais baisser les bras... même quand il perd. Des obstacles, il en a pourtant rencontré au fil de son parcours. Sur le terrain de l'exil, d'abord. Fuyant la guerre civile dans son pays d'origine, Smail Ait Mehdi, alors maître de sport, dépose en 1994 une demande d'asile dans nos frontières. Rejetée. Un recours et une expulsion plus tard, le requérant aux racines kabyles qui a dans l'intervalle épousé une Valaisanne, revient en Suisse sous le régime du regroupement familial. De nouvelles difficultés l'attendent. Son diplôme professionnel n'étant pas reconnu, il cherche un travail alimentaire. «J'ai postulé pour un job de casserolier. On m'a rétorqué qu'il nécessitait deux ans d'expérience. Incroyable», se souvient, persiflant, Smail Ait Mehdi. Il finira toutefois par décrocher un poste similaire dans un hôtel à Conthey, en Valais, avant d'être promu veilleur de nuit par ce même employeur. Un travail varié, qu'il exerce de 1999 à 2010.

Positif hormis le salaire
«Je m'occupais des réservations, de l'enregistrement, de la comptabilité... J'ai tout particulièrement apprécié le contact avec la clientèle. Une bonne expérience à l'exception du salaire s'élevant, au début de mon engagement à 3000 francs pour passer, dix ans plus tard, à 4200 francs», raconte Smail Ait Mehdi qui, divorcé depuis, s'est remarié en 2006 avec une native du Portugal, la mère de ses deux enfants de quatre et six ans. Le projet de vendre l'établissement hôtelier se solde par le licenciement du veilleur. Au chômage, Smail Ait Mehdi décide de mettre à profit ce passage. Il suit des cours d'allemand et d'informatique et entame une procédure pour obtenir une équivalence à son diplôme d'enseignant avant de retrouver, entre-temps, un travail comme agent de sécurité. Une nouvelle activité alimentaire qu'il exerce depuis mai 2012.

Missions exigeantes
«Il y a des hauts et des bas», soupire l'auxiliaire qui travaille sur appel, effectuant certaines semaines jusqu'à 60 heures puis se retrouvant parfois plusieurs jours désœuvré. «J'interviens dans toute la Suisse romande, aussi souvent les week-ends. Le problème, c'est qu'on ne connaît jamais le planning à l'avance. Dans le meilleur des cas, on est informé une semaine plus tôt. Et si on refuse des mandats, on risque de ne pas être sollicité la prochaine fois. Je cumule les heures par crainte de ne pouvoir sortir un salaire décent», déplore l'agent payé 22 francs l'heure. Une précarité d'autant plus difficile à accepter que le travail est pointilleux et comporte des missions particulièrement exigeantes, la surveillance de certains sites n'offrant aucune minute de répit comme par exemple celle de tunnels. «Il faut avoir les yeux constamment rivés sur plusieurs écrans, contrôler sans arrêt le trafic des véhicules, établir des rapports... On n'a même pas le temps d'aller aux toilettes...» Pas de quoi décourager toutefois ce battant qui n'en nourrit pas moins le rêve de renouer avec sa profession première. «J'ai récemment obtenu une reconnaissance de mes acquis - soit un diplôme suisse d'enseignement pour les écoles de maturité, discipline sport - mais avant de pouvoir me lancer, je dois effectuer des remplacements... et toujours gagner ma vie.» Impossible, dans ce contexte, d'opérer un virage immédiat mais l'homme garde espoir, lui qui dit avoir fait sienne la devise: tant qu'il y a de la vie...

Un passeport pour éliminer un complexe
Ouvert, convivial, le contact aisé, Smail Ait Mehdi se définit comme un citoyen du monde et affiche une sensibilité clairement à gauche. Membre du PS et du syndicat Unia depuis de nombreuses années, le militant s'est toujours senti proche de la classe ouvrière et dénonce les cas trop fréquents d'exploitation dans le monde du travail. «Il faut se battre en particulier contre les discriminations salariales... Je rêve d'un monde meilleur, d'une société plus équilibrée.» Sa capacité à s'intégrer en Suisse, il l'explique et par ses nombreux voyages antérieurs à l'étranger, alors qu'il était sportif d'élite, et par son souci de se fondre dans la population de son pays hôte. «Partout il y a du racisme... J'essaie d'éviter les problèmes. Au début, c'était difficile mais je suis venu ici, à moi de m'adapter. Le Valais est amical», affirme l'Algérien aujourd'hui naturalisé. «La raison de cette démarche? Pour éliminer un complexe d'infériorité que l'on peut ressentir en tant qu'étranger. Le passeport suisse fait la différence. Je l'ai également fait pour mes enfants. Mais, au fond, je me sens bien dans ma peau», enchaîne le Kabyle qui déclare avoir conservé de sa culture sa langue - même s'il peine à la transmettre à ses enfants - et le «respect des personnes âgées, des handicapés, de tous les êtres en général affrontant des situations précaires». Et si la mer et le soleil de son pays natal lui manquent, il a appris à aimer la quiétude de son environnement actuel - l'homme vivait à Alger avant de s'installer à Aproz (VS) - et ses spécificités. Comme une bonne raclette - «j'adore les fromages» - ou encore une balade le long des bisses...


Sonya Mermoud