Un père fouettard visite un EMS neuchâtelois
Unia dénonce la gestion désastreuse des ressources humaines au sein de la résidence des Trois-Portes
Soutenus par Unia, cinq employés et ex-employés dénoncent une maltraitance morale au sein de la résidence des Trois-Portes, à Neuchâtel. Pour alerter l’opinion publique, le syndicat a mené, à la veille de Noël, une action coup de poing devant cet établissement privé destiné aux malades d’alzheimer et employant vingt-cinq collaborateurs. Un père fouettard a voulu remettre à la directrice un balai décoré de protestations. Les reproches sont lourds à l’encontre de la responsable: sous-effectifs, horaires imposés, contrôles excessifs, cris, insultes, problèmes sanitaires… Nous avons interrogé trois ex-employées.
Cris, pleurs, insultes
«Il y a beaucoup de critiques et d’insultes de la part de la directrice et de l’infirmière cheffe. Nous n’avons pas le droit de nous plaindre; si on dit quelque chose, on est dénoncé et appelé au bureau», témoigne Emilia*. Après deux ans d’activité dans le home, cette aide-soignante a démissionné l’année passée. «C’est un métier qui me tient à cœur, car j’ai perdu ma mère victime d’alzheimer, mais c’était trop de stress, de pire en pire, je faisais des cauchemars, je ne dormais plus. Mes collègues venaient de l’étranger, souvent avec des enfants et pas de mari, elles avaient besoin d’un travail et subissaient en silence.»
«J’ai terminé en septembre dernier, je me suis faite virer, même s’il y a eu un arrangement, j’étais en arrêt maladie, complètement épuisée, déclare de son côté Katia*, employée comme aide-soignante pendant onze ans. Trop souvent on m’appelait durant mes jours de congé par manque de personnel. Il n’y a pas de reconnaissance de notre travail et nul respect pour nous. J’ai vu des gens pleurer et j’ai pleuré aussi.»
«Je suis partie en arrêt maladie à cause de l’accumulation de pression, indique pour sa part Aïda*, aide-soignante et veilleuse pendant cinq ans, jusqu’en novembre dernier. Je me suis plusieurs fois plainte d’un infirmier qui me harcelait, mais la directrice le soutenait. Elle demandait à des infirmiers de “porter la casquette de flic“, de nous surveiller. Elle-même venait sur la pointe des pieds pour écouter et surveiller les gens en cachette. Ce n’était plus possible de continuer comme ça. Je suis sortie de là avec zéro confiance en moi.»
Pas de gants, pas de désinfectant
Autre grief: le manque d’hygiène. «Nous avions des gants en plastique troués, du type de ceux pour servir la nourriture et que l’on trouve au rayon boulangerie des supermarchés. Ce n’est pas agréable pour les personnes qui reçoivent les soins. Les patients, les pauvres, ne peuvent rien dire. Pas de désinfectant non plus, qu’on nous a retiré il y a plusieurs années pour faire des économies», assure Katia. Ce manque de matériel est confirmé par les autres employés que nous avons entendus.
«Un mois après avoir commencé ce travail, j’ai cherché un autre emploi, mais on s’attache vite aux résidents, à des collègues, on finit par s’habituer au harcèlement, à la maltraitance, c’est triste, mais une fois qu’on est loin, on regrette d’avoir tant attendu avant de partir», explique Aïda.
«La pression sur les employés se répercute sur les résidents. C’est une machine à business, ça ne va pas. Il s’agit tout de même d’êtres humains. Il faut faire quelque chose pour que ça cesse», conclut Emilia.
Travail avec 40 °C de fièvre
«Depuis l’action de décembre, cinq autres anciens collaborateurs des Trois-Portes ont pris contact avec moi, confirmant les affirmations de nos membres», indique Isabel Amian, secrétaire syndicale d’Unia Neuchâtel. «Le personnel est harcelé dans sa vie privée: la directrice interdit aux travailleuses de se voir en dehors du lieu de travail et a mis en place des pauses à différents horaires pour qu'elles ne puissent pas y participer ensemble. De plus, elles sont harcelées en cas de maladie, les obligeant à aller travailler même avec 40 °C de fièvre, ce n'est pas légal tant vis-à-vis du personnel que des résidents. Le plus dur à entendre réside dans le fait que le personnel sort du home complètement rabaissé, sans aucune confiance en lui. Certaines employées doivent entreprendre des thérapies pour retourner sur le marché du travail, détaille encore Isabel Amian. Les salariées ne demandent pas de prestations matérielles, elles attendent seulement des engagements de la directrice en faveur d’une meilleure gestion des ressources humaines et plus de respect dans les relations professionnelles.» La responsable a pour l’heure refusé de rencontrer Unia.
La directrice se rétracte
L’Evénement syndical a sollicité une réaction de la directrice et nous l’avons longuement interrogée par téléphone. Comme il est usuel, nous lui avons envoyé ses citations par écrit pour validation. Elle nous a répondu par courriel qu’elle ne souhaitait plus s’exprimer dans notre journal. «Cette décision est motivée par le fait que de toute évidence, votre article sera partial», écrit-elle. Nous lui offrions pourtant un espace pour répondre et la possibilité de contrôler ses propos.
La responsable réfute l’ensemble des critiques sur la gestion des ressources humaines. Elle conteste également l’absence de gants et de désinfectant. Elle assure que des gants en vinyle sont bien à disposition du personnel, mais concède que leur distribution est sous contrôle de l’infirmière cheffe pour éviter ce qu’elle dit être du gaspillage.
Ce volet sanitaire relève de la surveillance de l’Etat. «A la suite des déclarations des employées à la radio, nous avons effectué un contrôle, qui n’a pas permis de corroborer leurs propos, indique Vincent Huguenin-Dumittan, chef du Service cantonal de la santé publique. Notre rôle de surveillance est lié à la qualité des soins délivrés aux patients, nous ne sommes pas un inspecteur du travail et nous ne voulons pas nous immiscer dans un conflit du travail.» Le haut fonctionnaire précise que les contrôles sont effectués sur la base de 44 critères, mais qu’il n’existe ainsi pas de norme concernant la distribution des gants.
Affaire à suivre.
* Prénoms d’emprunt