Dans les années 1950, Staline et ses sbires étaient capables d’enfumer leur opinion publique avec efficacité. Or, à cette époque, l’enfumage était déjà assez réussi chez nous. L’écrivain zurichois Diggelmann expliquait dans L’interrogatoire de Harry Wind comment le bureau Furrerhugi de Berne, largement payé par les grandes firmes du pays, contrôlait l’opinion publique suisse: de nombreux articles publiés entre le dépôt des signatures et le jour du vote, des centaines de lettres de lecteurs dans les journaux qui ne vérifiaient pas l’adresse de leurs correspondants, lesquels étaient enthousiastes dans le refus de toutes les initiatives susceptibles de limiter les profits des grands groupes qui eussent été obligés d’être plus justes, plus honnêtes, plus responsables. Combien d’initiatives populaires allant dans le sens d’une diminution des profits du grand capital ont-elles passé la rampe? Aucune. Notre démocratie directe est remarquable. Mais notre opinion publique est contrôlée presque comme celle de l’URSS au point que les peuples d’Europe s’écrasent de rire en apprenant que les Suisses votent contre une semaine supplémentaire de vacances. Nous sortons d’une confrontation particulière (votations du 29 novembre sur les multinationales responsables, ndlr). Des drapeaux aux balcons pendant quatre années. Au printemps, environ 80% de oui. Fin novembre 50,7%. Particulièrement négatifs dans les petits cantons. Cela malgré l’engagement des Eglises, de 130 ONG, d’une importante fraction de la droite, de toute la gauche, de l’envoi de 50000 cartes, du déploiement de 80000 drapeaux et de l’activité remarquable de 450 comités locaux. Qui peut croire encore à la pertinence de cette démocratie directe?
Pierre Aguet, Vevey