Lancé à Fribourg, un projet pilote de formation intégrative vise à permettre à des personnes issues du monde de l’asile d’apprendre le métier de maçon
Favoriser l’intégration de personnes issues du domaine de l’asile et répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans la construction: voilà les deux objectifs poursuivis par le projet de formation «Façonne ton avenir», lancé par la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs (FFE) et l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) Fribourg, en partenariat avec le Service de l’action sociale. Le 11 avril, 26 requérants d’asile et réfugiés d’Erythrée, d’Afghanistan, de Syrie, de Turquie, d’Ukraine, etc., ont été invités à assister à Courtaman, dans les locaux de la FFE, à une séance d’information sur la formation proposée. Cette présentation a été suivie par une visite de la halle des maçons où les intéressés ont pu découvrir quelques facettes du métier. Le cursus proposé se déroule sur six mois. Il comprend une partie théorique visant à un renforcement des connaissances de base des candidats en matière de français – y compris le langage spécifique du gros œuvre –, de calcul et d’informatique. Le volet pratique est assuré un mois durant par la FFE avant un stage de trois mois au sein d’une entreprise partenaire. Le public cible? Des migrants âgés de 16 à 50 ans titulaires d’un permis B ou d’admissions provisoires (permis F et S). Tout au long du processus, l’OSEO accompagnera et coachera individuellement les participants. A la fin du programme, ces derniers recevront une attestation validant les compétences acquises. Et seront dans l’idéal soit orientés vers une formation professionnelle de base soit engagés comme aides-maçons.
Sortir de l’aide sociale
Réfugié statutaire provenant d’Erythrée, Tesmegen a suivi avec intérêt la présentation et s’est inscrit à la formation à son issue. L’homme de 28 ans possède déjà un métier mais a dû, pour des raisons de santé, y renoncer. «J’ai obtenu une Attestation fédérale de formation dans le domaine de la menuiserie. Mais à cause de problèmes d’asthme et d’allergie aux poussières de bois, mon médecin m’a dit que je devais arrêter», explique l’exilé, arrivé en Suisse il y a seize ans. «Je n’aurais pas ce souci, avec la maçonnerie, à l’air libre. Et j’aime le travail physique», ajoute Tesmegen, qui voit aussi dans cette opportunité l’occasion de stabiliser sa vie et d’acquérir une indépendance financière. «Le salaire de base est intéressant, même si tout est cher. Je souhaite sortir du social. Sans emploi, ma vie est compliquée, d’autant plus que j’aimerais aussi fonder une famille. Cette initiative ouvre une petite porte sur le monde du travail», commente encore le réfugié, soulignant que le manque d’expérience professionnelle rend difficile les recherches de postes, mais aussi sa nationalité. «Mon origine constitue un léger handicap. La peur des différences... Je comprends, mais ce sont des préjugés.»
Un modèle «gagnant-gagnant»
Ayant fui l’Afghanistan, Sayed, 22 ans, souhaite lui aussi suivre la formation. «Je suis très motivé. J’aime le travail en équipe, l’idée d’être constamment dehors, et de se déplacer sur différents chantiers.» Arrivé dans nos frontières en 2021, le requérant d’asile titulaire d’une admission provisoire précise avoir déjà quelques connaissances dans le domaine de la construction. «J’ai acquis un peu d’expérience dans mon pays. J’espère pouvoir faire un apprentissage», rêve Sayed, avant de compléter, enthousiaste: «C’est un métier où il n’y a pas de chômage. Et on peut construire de beaux bâtiments. Il y a aussi beaucoup de technologie.» L’effort physique ne rebute pas le jeune. «Bien sûr, c’est difficile, mais je suis sportif. Je fais de la lutte.»
Unique en Suisse, la formation, concluent les initiateurs, se veut un modèle «gagnant-gagnant». Elle doit non seulement contribuer à l’intégration socioprofessionnelle des exilés mais aussi couvrir des besoins de l’économie privée. «Il s’agit de créer des passerelles entre les migrants et les entreprises. Nombre d’entre eux ne disposent pas de qualification. L’absence de formation professionnelle peut les pénaliser toute leur vie», note Joël Gavin, directeur de l’OSEO Fribourg. David Valterio, directeur de la FFE, précise encore que la demande en main-d’œuvre justifie pleinement la démarche mais pas sans préparation préalable. Quant à la rémunération des apprenants, ceux-ci devraient toucher dans un premier temps un montant incitatif mensuel de 250 francs en plus de l’aide sociale, puis être payés selon les tarifs de la convention nationale du secteur. Le projet fera l’objet d’une évaluation à la fin de d’année. «En cas de succès, soulignent les partenaires, il pourrait s’étendre à d’autres domaines de la construction.»
Une initiative positive, avec des règles à respecter
Secrétaire régional d’Unia Fribourg, François Clément juge l’initiative globalement positive. «On a affaire à des personnes qui désirent travailler, qui sont fières de pouvoir gagner leur vie, de voler de leurs propres ailes. Elles ont besoin d’un premier job», note le syndicaliste, non sans insister sur le fait que le secteur souffre d’un cruel manque de main-d’œuvre. «Dans ce sens, on ne saurait se montrer naïfs. On n’est pas dans la charité. Il manque des milliers de volontaires pour effectuer ce genre de travaux pénibles, dangereux.» Une situation qui est aussi due, selon le représentant d’Unia, «aux décisions xénophobes prises ces dernières années alors qu’il aurait fallu accueillir cette population». Quoi qu’il en soit, le syndicaliste rappelle surtout que la formation devra se dérouler dans le respect strict de la Loi sur le travail et de la Convention nationale de la construction qui fixe notamment des minimums salariaux. Dans ce contexte, il mentionne «l’obligation de payer l’apprenant, dès le troisième mois de chantier, comme un manœuvre, à savoir 4700 francs par mois», mettant en garde contre toute concurrence déloyale. Il attend aussi de la Fédération fribourgeoise des entreprises et des sociétés partenaires qu’elles informent les personnes concernées de leurs droits.