Dans l’affaire Alpen Peak International, le Tribunal de police de Lausanne juge un collaborateur d’Unia coupable de diffamation mais l’exempte de peine
Si ce n’était pas le procès de la liberté syndicale qui se tenait le 16 octobre dernier au Tribunal de police de Lausanne – garantie par la Constitution, comme l’aura souvent répété la présidente Katia Elkaim – ce sont les moyens utilisés qui ont été mis en cause. Et en particulier, le recours à des tracts jugés diffamatoires. L’atteinte à l’honneur a ainsi été retenue dans le litige opposant Lionel Roche, secrétaire syndical d’Unia, à Laurent Bovet qui, à l’époque des faits en septembre 2016, travaillait comme gérant et administrateur de la société Mazars et apparaissait au Registre du commerce de la société M101 Invest SA, principale actionnaire d’Alpen Peak International (API). Pour mémoire, rappelons qu’API, actif dans des travaux de rénovation, avait été épinglé pour dumping et amené à verser à ses six ouvriers polonais, soutenus par Unia, plus de 40000 francs de rattrapage salarial et 20000 autres francs pour tort moral. Un épilogue qui avait succédé à une grève et différentes actions du syndicat pour forcer l’entreprise à s’acquitter de son dû avant que le conflit ne se résolve sous les auspices du conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba. Une trentaine de militants syndicaux et les employés lésés avaient ainsi protesté du 7 au 9 septembre 2016 devant le World Trade Center à Lausanne, bâtiment abritant la holding M101 Invest SA. Des tracts avaient alors été distribués avec la photo de Laurent Bovet, oblitérés d’un «wanted» (recherché, ndlr) contre une récompense de 94074 francs – correspondant aux prétentions chiffrées des travailleurs en grève – et pointant de manière caustique le rôle joué par cet homme dans cette affaire. Des méthodes qui ont poussé Laurent Bovet à attaquer Lionel Roche pour diffamation, au motif qu’il n’avait pas de fonction opérationnelle chez API. Et ce alors même que les différents protagonistes de l’histoire, à son issue, s’étaient engagés à retirer leur plainte contre les syndicalistes dans une Convention.
Victime collatérale
«Mon rôle se limitait, quelques heures par année, à vérifier les déclarations d’impôts et l’état comptable», a déclaré le plaignant devant le Tribunal. De fait, Unia n’a pas été en mesure d’établir qu’il aurait, par exemple, engagé les travailleurs, rédigé ou signé leurs contrats. Laurent Bovet a affirmé pour sa part n’avoir même pas eu connaissance de l’existence de ces derniers. Si le syndicaliste, défendu par Maître Charlotte Iselin, a admis s’être peut-être trompé de cible et accepté de s’en excuser, il note avoir mené toutes les vérifications préalables permettant d’établir de manière certaine que Laurent Bovet n’avait certes pas de fonction opérationnelle au sein d’API, mais qu’il jouait en revanche un rôle central dans le modèle d’affaire mis en place par le directeur de l’entreprise, M. De Giorgi. «API appartenait au holding M101 Invest SA administré par M. Bovet. Au fond, il est une victime collatérale de ses mauvaises fréquentations économiques», a argumenté Lionel Roche. Le fait que le plaignant se soit publiquement exprimé dans la presse a largement contribué à brouiller les cartes. «Les tracts en question n’avaient d’autre but que de faire sortir du bois celui qui avait répondu à une forêt de journalistes», relèvera dans une plaidoirie remarquable l’avocate du syndicaliste. La présidente a néanmoins retenu le caractère diffamatoire du moyen utilisé. Et jugé que le syndicaliste, bien que n’ayant pas personnellement distribué les tracts, portait une responsabilité de coauteur.
Esprit de revanche
«Derrière l’enrobage satirique, le message était clair», a-t-elle déclaré en substance, jugeant que les propos ainsi propagés ont porté atteinte à la réputation du plaignant. La magistrate a en revanche balayé l’accusation de contrainte. Et a estimé que la culpabilité du syndicaliste, seul à comparaître, était «diluée», même s’il devra s’acquitter de frais de procédure. Un verdict pour le moins alambiqué qui ne satisfait pas entièrement Charlotte Iselin qui s’est dit «mitigée» à l’issue de l’audience, notamment sur la notion de «coauteur»: «Nous attendons le jugement écrit pour voir si nous ferons appel.» De son côté, Lionel Roche affirme être soulagé par l’exemption de peine, même s’il aurait préféré être acquitté, tout simplement. «Il me semble que je l’aurais mérité. Il faut savoir qu’à l’issue des négociations ayant permis de mettre fin au conflit, toutes les parties impliquées s’étaient engagées à retirer leurs plaintes respectives. Le syndicat l’a fait, De Giorgi a retiré les siennes, mais ses acolytes ont maintenu les leurs, contrairement à la parole donnée. Résultat, me voilà condamné à cause de leur duplicité et leur de revanche”! En ce qui me concerne, la lutte continue et ce genre de mésaventure ne m’impressionne pas du tout.»
Présent à l’audience, Yves Defferrard, secrétaire régional d’Unia Vaud note encore que «plusieurs procès sont en cours, avec cette volonté patronale de criminaliser l’activité syndicale». Et de dénoncer une «Suisse qui, malgré plusieurs avertissements à l’OIT, ne s’est toujours pas mise en conformité avec les traités défendant la liberté syndicale».