Dans les trois classes du centre fédéral pour requérants d’asile de Vallorbe, filles et garçons de 4 à 16 ans suivent un enseignement particulier pendant les semaines que dure la procédure
Ils ont fait le voyage depuis l’Afghanistan, l’Erythrée, la Géorgie, l’Iran ou d’autres contrées. Un périple souvent long et sinueux qui leur a volé des semaines, des mois, voire des années d’école. Leur escale à Vallorbe dure de trois à vingt semaines, ou même plus lorsque les retards – courants depuis le début de la crise sanitaire – s’accumulent. Dans le centre, les enfants attendent avec leur famille une décision qui définira les contours de leur avenir proche, endossant comme les adultes le rôle de demandeurs d’asile. Un costume trop large pour leurs épaules qu’ils peuvent heureusement accrocher dans le vestiaire les jours d’école. Dès qu’ils saluent la maîtresse, c’est le rôle d’élève et d’enfant qu’ils vont incarner.
Nous découvrons deux salles de classe situées à l’extérieur du centre, la troisième – destinée aux tout-petits – se trouvant, elle, dans le bâtiment principal. Lumineuses et colorées, elles constituent le décor de ces heures entre parenthèses. Sol vert pomme, murs recouverts de peintures bigarrées, bricolages, plantes vertes, photos d’élèves, masques, cartes du monde et de la Suisse, fresques automnales ornant les vitres baignées de soleil, fauteuils, tapis, livres et jeux. Tout un univers concentré dans une seule pièce.
Une bulle
«Pour moi, leur lieu de vie s’apparente à un environnement carcéral. Les adultes sont fouillés à l’entrée, il y a des murs gris, des barbelés, beaucoup d’ennui, de temps à tuer. Comme les requérants occupent la même pièce en famille, ils manquent de sommeil et d’intimité, décrit Marika Zisyadis, l’une des quatre enseignantes. Ici, ils peuvent déposer ce qu’ils vivent au centre. C’est particulièrement important pour les adolescents qui ont une meilleure perception de ce qu’il se passe. On ne cherche pas à écraser ce qu’ils vivent, mais à y ajouter de la joie en créant un lieu foisonnant d’idées et de lectures.» «Cette classe, c’est une bulle de vie d’enfant! Enfin, j’espère», sourit Joëlle Lovey, sa collègue. Pour «déposer» leur vécu, les élèves bénéficient de plusieurs espaces. «Je constate qu’ils parlent plus facilement en mouvement qu’autour d’une table. Ils se confient ainsi plus volontiers lorsque nous nous baladons, allons au jardin ou au sport», illustre l’enseignante. Le travail scolaire – un exercice de français, une exploration thématique ou une création artistique, par exemple – laisse également une place à l’expression personnelle. L’attitude des enfants ainsi que leur corps parlent pour eux: «On peut observer l’attente et le temps qui passe sur les adolescents: lorsque le délai de décision approche, on les voit perdre du poids et venir fatigués, car ils dorment toujours moins», témoigne Marika Zisyadis.
Jeu d’équilibriste
Comment enseigner à des enfants qui découvrent une nouvelle langue dans un laps de temps court et aléatoire? Le pari est de taille et ne s’avère jamais gagné ni perdu d’avance. «Il y a des moments où on se sent prêtes et où on se dit que tout va bien se passer. Mais si on n’a pas prévu de plans B et C, ça peut vraiment devenir très compliqué!» admet-elle volontiers. Heureusement, des petites joies s’invitent constamment au programme. Ce matin-là, c’est un jeu collaboratif sans paroles qui fonctionne bien et prouve aux adolescents, souvent avides de contacts, qu’on peut très bien communiquer avec les yeux et les mains. Ou ce petit garçon qui compte en français, tout sourire. Marika se remémore le passage d’un élève iranien durant six mois: «C’est ici qu’il a commencé à écrire et à raconter son histoire. Ça a été magique de le voir saisir et organiser les bribes d’informations qu’il a reçues pour construire quelque chose.» Maîtresse du groupe des 6-10 ans, Rhita De Icco-Bahou observe avec bonheur l’évolution du benjamin de sa classe: «A la rentrée, il ne voulait pas venir dans la salle. Sa maman a même dû courir après lui dans la cour pour l’amener! Aujourd’hui, il vient avec plaisir, à l’heure, propre et bien habillé et je suis fière des progrès qu’il réalise.»
Le temps des au revoir
Ainsi s’écoulent les semaines en classe, ponctuées de petites et grandes victoires, d’inévitables échecs, aussi. Jusqu’au moment, parfois abrupt, du départ. «On n’est pas toujours informées de ce qu’il se passe et il nous arrive de l’apprendre le jour même», explique Joëlle. Plus tôt dans la matinée, Rhita a d’ailleurs eu la surprise de voir l’une de ses élèves quitter le centre. «C’est difficile pour nous, parce qu’on forme une classe», souligne sa collègue. De ces lieux, les enfants emporteront leur cahier et les adresses des maîtresses, à qui ils enverront parfois une carte postale. «On travaille avec des photos de nos sorties, ce qui fait que leur cahier ressemble presque à un album.» Les enseignantes conservent, quant à elles, quelques portraits aux murs. Et, planant au-dessus de la classe, des oiseaux en origami rouge, que les élèves ont confectionnés à leur arrivée. Clin d’œil poétique et coloré au parcours migratoire de ces enfants.
Le service de communication du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) tient à préciser que le centre propose des sorties, des jouets et des activités (bricolage, peinture, mosaïque) aux enfants.
«Je suis fier de ce qui a été fait»
Christophe Blanchet de l’Unité migration accueil (UMA) a œuvré à la création des classes de Vallorbe durant l’année scolaire 2018-2019. Aujourd’hui, il en est entre autres le référent pédagogique
Dans quel contexte ces classes ont-elles vu le jour?
Avec la nouvelle procédure d’asile (depuis mars 2019, ndlr), le processus est plus court, mais l’attente préliminaire est, elle, rallongée. Par conséquent, la Confédération a souhaité mettre sur pied une offre scolaire pour les enfants. Ça a été un défi très important à relever. Pédagogique, d’abord, car il n’est pas évident de donner du sens à des apprentissages de durées différentes. Un défi de coordination aussi, car le projet touche la Confédération, le canton, le centre d’accueil, l’établissement scolaire de Vallorbe et l’UMA. Et enfin aussi, un défi moral: il faut accepter sans juger le fait de se trouver au cœur d’une procédure où l’enfant est mis dans une position de demandeur d’asile.
Qu’est-ce qui a changé depuis les débuts du programme?
Tout est plus calme. Nous accueillons moins de monde, car le Covid a ralenti les procédures et divisé les effectifs du centre par deux. Les contingents syriens* ont également été stoppés, mais ils devraient reprendre prochainement.
Quel bilan tirez-vous de ces premières années?
Je suis fier de ce qui a été fait et d’avoir trouvé une équipe d’enseignantes motivées, impliquées, prêtes à modifier leurs pratiques en fonction du contexte, qui a beaucoup changé. Je trouve qu’on répond aux défis d’une manière qui a du sens.
Et si vous aviez une baguette magique?
J’aimerais que la seule chose qui compte soit le fait que ce sont des enfants. Et que tout soit mis en place pour leur permettre de vivre, pendant leur temps avec nous, une vie d’enfant la plus normale possible et surtout une vie d’enfant au plus proche des valeurs de notre société.
* Mesure concernant des réfugiés syriens au Liban ou en Jordanie, acheminés en Suisse et bénéficiant d’une procédure d’asile accélérée. Ils transitent trois semaines par Vallorbe avant d’être attribués à un canton.