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Après «Good Bye, Lenin», Good Bye, Jaurès?

Dans "Socialiste un jour, socialiste toujours", Jean-Claude Rennwald propose des voies pour éviter la chute de la social-démocratie européenne

En Europe, on le sait, la social-démocratie a des problèmes de santé. Tandis qu’à l’autre bord, la droite nationale-populiste est au mieux de sa forme. Dans son dernier ouvrage, Socialiste un jour, socialiste toujours, publié avec le soutien d’Unia, Jean-Claude Rennwald ose un diagnostic et propose une thérapie. Dans de précédents livres, ce politologue, journaliste et syndicaliste, fondateur de L’Evénement syndical, s’était déjà penché sur le mal qui ronge la gauche depuis plusieurs décennies. Mais cette fois, l’ancien conseiller national jurassien a de quoi se faire du mauvais sang. «Le socialisme démocratique est au bord du gouffre, constate-il, les pays qui sont encore dirigés par cette famille politique se comptent sur le doigt de la main.» Les partis socialistes pourraient bien disparaître corps et âme, en premier lieu en France, qui a atteint avec le président Hollande le «stade suprême du Blairisme». Pourtant, lorsque la gauche reste de gauche et qu’elle ne manque pas d’audace, elle marque des points. Il s’agit donc de tourner le dos à la «dérive social-libérale» et de revenir aux fondamentaux. D’abord en n’oubliant pas pour qui roulent les progressistes: les classes populaires. Répondre à leurs besoins passe nécessairement aujourd’hui par une réduction massive du temps de travail, un partage de l’emploi, des salaires minimums et maximums, ainsi que des services publics forts. Le socialiste plaide pour de profonds changements sociaux, culturels et économiques. A une croissance économique destructrice de la biosphère, il veut ainsi opposer une croissance «qualitative et respectueuse de notre environnement». Dans le détail ses propositions pourront être critiquées, le livre a néanmoins le mérite d’offrir une ligne claire à une époque où on ne sait plus très bien à quel saint se vouer. Il fallait oser et c’est justement l’un des principaux messages que délivre l’ouvrage qui ne manque pas d’optimisme. «La gauche doit à nouveau multiplier les essais, c’est l’une de ses seules chances d’exister et de se renforcer», conclut l’auteur, à qui nous avons posé trois questions.

Pourquoi ce livre? Le vieux projet social-démocrate n’est-il pas dépassé à l’heure de l’urgence écologique et des mobilisations pour la justice climatique?

Je pars d’un constat qu’il y a d’un côté une montée des forces nationales-populistes en Europe et, de l’autre, un déclin d’une majorité des partis socialistes, et j’essaie de trouver les liens entre les deux phénomènes. Si le populisme a différentes racines, comme la peur de la mondialisation, de l’intégration européenne, des vagues migratoires, les politiques social-libérales menées par les Blair, Schröder, Renzi, Hollande et compagnie ont une part de responsabilité dans cette évolution en détournant des partis socialistes une bonne partie des électeurs, surtout des travailleurs. Les besoins des classes moyennes ont été privilégiés en oubliant souvent, et même parfois beaucoup, le monde du travail. Je suis certes pour une alliance entre classes moyennes et classes populaires, mais il ne faut pas reléguer le monde du travail à l’arrière-plan. Et surtout ne pas revenir avec des politiques qui reposent sur davantage de flexibilité pour prétendument favoriser l’économie alors que tous les exemples montrent que ce n’est pas le cas.

Et pour répondre à la question quant à l’urgence climatique, je reprendrais l’expression sortie en marge de la mobilisation des Gilets jaunes: il ne faut pas opposer la fin du monde à la fin de mois. Je pense qu’il faut au contraire essayer d’articuler au mieux les problématiques environnementales et sociales. Le débat n’est pas, pour moi, entre la croissance ou la décroissance, mais porte sur la nature de la croissance. Dans le livre, je donne quelques exemples sur la croissance de type qualitatif qu’il s’agit de développer.

De nos jours, on ne revendique plus guère une réduction massive du temps de travail comme vous le proposez. Pourquoi la gauche et les syndicats doivent-ils se réapproprier ce thème?

On ne le revendique plus guère et, ce qui est inquiétant, c’est qu’on assiste plutôt à l’inverse, comme en France, avec un démantèlement partiel des 35 heures ou, en Suisse, par une remise en cause de la Loi sur le travail qui impliquerait, pour certaines catégories de salariés, une hausse très forte du temps de travail.

Si l’on regarde sur une longue période, on travaille aujourd’hui moins en Europe que par le passé. Beaucoup de gens se plaignent pourtant de manquer de temps. Un élément important lié à ce sentiment est l’allongement continuel du temps consacré pour se rendre à son travail. A côté de cela, il y a une demande toujours plus forte d’arriver à concilier activité professionnelle, et vies sociale et familiale. Je donne pour exemple ce qui a été fait dans la métallurgie allemande, où les salariés peuvent réduire leur temps de travail à 28 heures durant une certaine période pour s’occuper d’un enfant ou d’un parent âgé. Du temps où elle était secrétaire de l’Union syndicale suisse, Ruth Dreifuss disait à ce propos qu’il n’y a pas de partage dans le couple en-dessus de 35 heures de travail. Même si je n’ai pas à dire aux femmes ce qu’elles doivent faire, ce thème de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale me paraît important dans la perspective de la Grève du 14 juin.

Il y a enfin une donne à prendre en compte: si l’on ne sait pas encore très bien où l’on va avec l’automation, la robotisation et la numérisation, il apparaît que les effets sur l’emploi vont être plus négatifs que positifs.

Couverture du livre Socialiste un jour, socialiste toujours.Le socialisme, ce n’est pas seulement travailler moins, mais aussi, selon vous, «plus de culture et de sexe»… Pour quelles raisons?

Il ressort des enquêtes qu’une grande partie des travailleurs qui votent pour l’UDC ou le Rassemblement national en France sont non qualifiés. C’est plus cela que je dis que l’accès facilité à la culture est important. Je parle de la culture au sens large du terme, ce qui comprend aussi la formation. Et, en ce qui concerne le second point, toute une école de la psychanalyse a montré qu’un épanouissement sexuel favorisait un épanouissement plus général

Jean-Claude Rennwald, Socialiste un jour, socialiste toujours, Editions de l’Aire, 2019, 296 pages, 25 fr.

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