Ex-conseiller de François Hollande, Aquilino Morelle pointe dans un ouvrage la responsabilité de la gauche dans la progression du RN.
Si l’on n’y prend garde, le prochain président français sera issu du Rassemblement national (RN). C’est l’avertissement que lance Aquilino Morelle dans La parabole des aveugles. Marine Le Pen aux portes de l’Elysée (Editions Grasset). L’auteur pointe notamment la responsabilité de la gauche dans la progression du parti populiste.
Médecin ayant fréquenté Sciences Po et l’ENA, socialiste, Aquilino Morelle connaît bien le système politique français de l’intérieur, puisqu’il a été conseiller politique du Premier ministre Lionel Jospin et de François Hollande, président de la République. Mais il a rompu avec ce dernier, en raison de son virage social-libéral.
Désespérance sociale
Pour s’en tenir aux différentes élections présidentielles qui ont eu lieu en l’espace d’un demi-siècle, la progression du Front national (FN devenu RN) est spectaculaire. En 1974, Jean-Marie Le Pen avait obtenu 0,74% des suffrages, alors qu’au second tour de 2022, face à Emmanuel Macron, sa fille Marine avait recueilli 41,45% des voix! Pour Aquilino Morelle, cette percée tient au déclassement et à la désespérance des catégories populaires (67% des ouvriers ont voté pour Marine Le Pen en 2022), à l’investissement du RN dans les questions sociales, à sa dédiabolisation et à la capacité de Marine Le Pen à renoncer aux outrances de son père pour faire du RN un «parti comme les autres».
La gauche aussi responsable
Dans ce processus, la gauche n’est pas innocente. L’auteur rappelle qu’après avoir lancé de grandes réformes (39 heures, 5 semaines de vacances, retraite à 60 ans, suppression de la peine de mort) dès son arrivée au pouvoir en 1981, François Mitterrand a opéré, deux ans plus tard, le «tournant de la rigueur», synonyme de stagnation sociale et salariale. Si l’on excepte la parenthèse du gouvernement Jospin de 1997 à 2002 (35 heures, emplois jeunes, congé paternité), cette politique sociale-libérale – qui se matérialisera aussi dans la construction européenne – sera presque sans discontinuer celle des socialistes. Et cela jusqu’à François Hollande et au reniement de son discours du Bourget: «Mon adversaire, c’est la finance.» La priorité donnée aux «sujets de société» par rapport au social s’inscrit dans la même logique. Aquilino Morelle est moins convaincant lorsqu’il met en parallèle la progression du RN et les moments (sa jeunesse et son passage à Vichy) où François Mitterrand a flirté avec l’extrême droite. On a aussi de la peine à le suivre lorsqu’il estime que la gauche n’a pas assez limité l’immigration, alors qu’ici, l’enjeu consiste à offrir les mêmes conditions aux nationaux et aux étrangers.
Au royaume des aveugles
Le livre nous renvoie à ce fameux dicton: «Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.» Raison pour laquelle, Aquilino Morelle, fils de prolétaires espagnols ayant fui le franquisme, lance quelques pistes pour tenter d’inverser le cours des choses: retrouver le peuple et les ouvriers (les perdre, c’est mortel), donner une orientation citoyenne et sociale à l’Europe, celle-ci ne pouvant se construire «ni sans, ni contre les nations», mener une politique de l’immigration «ferme et humaine», réindustrialiser le pays en s’appuyant sur la transition écologique. Quelques idées qui vont de pair avec cette conclusion de l’auteur: «L’histoire de France n’est pas finie.»