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Au cœur du parrainage, la réciprocité

La famille Saegesser Correvon est marraine d’Ashraf depuis une année. Leur rencontre a été organisée par Valérie Despont (à droite) de l’association Nela.
© Olivier Vogelsang

La famille Saegesser Correvon est marraine d’Ashraf depuis une année. Leur rencontre a été organisée par Valérie Despont (à droite) de l’association Nela.

Depuis quatre ans, l’association Nela met en lien des personnes issues de la migration avec des habitants du canton de Vaud. Visite auprès d’une famille lausannoise marraine d’un jeune Afghan

C’est avec chaleur que Yasmine Saegesser accueille Ashraf, son filleul de cœur. Depuis une année, ils se voient presque chaque semaine. Domicilié à Sainte-Croix, Ashraf suit des cours de français et des entraînements de foot à Lausanne. L’occasion pour lui de voir sa marraine.

Avec son français encore hésitant, en ce 28 septembre, le jeune homme, qui fêtera ses 25 ans quelques jours plus tard, rit de se dire qu’il va faire un stage de fromager, son métier en Afghanistan. Alors que le fromage helvète est décidemment «trop fort» pour lui.

Sur le balcon familial, sirotant son thé, il exprime, par ses gestes et son sourire, son bonheur d’être là. «Je n’étais jamais entré chez des Suisses avant de les rencontrer et je n’avais jamais mangé de fondue, explique Ashraf, arrivé il y a un an et demi. Le parrainage me permet de rencontrer d’autres gens, de connaître les règles, les codes en Suisse.»

Elargir les horizons

L’enrichissement s’avère réciproque. «A notre deuxième rencontre, il nous a fait écouter de la musique afghane et on a dansé. C’est un très bon danseur», souligne Yasmine Saegesser. Avec son compagnon Denis Correvon, ainsi que leurs deux filles Niki et Dune, ils ont pris contact avec Nela après avoir entendu parler de l’association à de multiples reprises. «Plusieurs personnes, de milieux très différents mais ayant des filleuls, nous ont encouragés. On était intéressés, mais on a pris du temps avant de faire le pas», explique la mère de famille, comédienne de métier comme son compagnon. Celui-ci renchérit: «On a une vie un peu marginale, entre des périodes de spectacles très intenses et stressantes, et des moments où on est plus tranquilles. On avait peur de ne pas pouvoir donner assez.»

Autant de craintes balayées par l’expérience. Yasmine Saegesser poursuit: «Tout est très naturel et facile. Au début, je voulais organiser des activités spécifiques, mais finalement il participe à notre vie, on partage des repas, on l’emmène avec nous chez des amis. Nos filles sont curieuses de sa langue, le dari, et de l’écriture. Comme on ne voyage plus beaucoup, c’est une autre manière d’élargir leur horizon, de connaître une autre culture.» A ses côtés, Ashraf approuve. «Ça nous apporte beaucoup de t’avoir dans nos vies», lui dit-elle.

En Suisse, ce qui frappe le jeune Afghan, c’est l’existence d’EMS. «C’est une chose trop bizarre, mais c’est mon avis. Nos parents nous ont donné la vie, donc on fait tout pour eux jusqu’à leur mort.» Le fait que les jeunes adultes veuillent vivre loin de leurs parents l’étonne aussi beaucoup. «En Afghanistan, on aime vivre tous ensemble. Les grands-parents veulent voir grandir leurs petits-enfants.»

«Quand les jeunes entrent chez des Suisses, ils sont souvent frappés également par le nombre de livres et d’objets», souligne Valérie Despont, qui a échangé avec plus de 350 Afghanes et Afghans depuis qu’elle s’engage bénévolement dans l’association Nela. Quatre ans de mise en lien. Et tant de jeunes encore en attente d’une rencontre (lire ci-dessous).

«Et vogue la galère»

Si le jeune homme a une assistante sociale et des enseignants de français, c’est sa marraine qui lui a trouvé un club de football. «Moi qui n’aime pas spécialement ce sport, j’étais hypertouchée du bel accueil de l’équipe», se souvient Yasmine Saegesser. Ashraf est heureux d’être passé en quatrième ligue. Après s’être entraîné avec une cinquième division, il joue enfin avec des jeunes de son âge, comme dans sa ville d’origine, Hérat, proche de l’Iran.

Ashraf revient sur son exil qui l’a amené jusqu’en Turquie, où il a pris le bateau en direction de l’Italie. S’il a évité la dure traversée des Balkans, il a cru mourir en mer…

Le 24 janvier 2022, il arrivait finalement en Suisse. Il est l’un de ceux qui témoignent dans l’exposition «Et vogue la galère», présentée pour la première fois en juin 2023 dans la cathédrale de Lausanne (et bientôt dans d’autres villes romandes): environ 29000 petits bateaux de papier pour représenter symboliquement les migrants morts en Méditerranée… Son témoignage audio et sa photo ont figuré dans l’édifice. «C’était incroyable!» sourit celui qui est heureux de partager sa situation, même si l’émotion est intense lorsqu’il repense au départ et à son parcours du combattant pour arriver jusqu’ici. Sans compter le gouffre financier. «Généralement, un tel périple peut coûter entre 10000 et 15000 francs, à rembourser…» explique Valérie Despont. Ashraf acquiesce.

Ce qu’il aime en Suisse? «Si tu veux faire quelque chose, tu peux. On peut suivre ses idées.» Il aimerait devenir infirmier, avoir une maison, une voiture, se marier avec une fille afghane que ses parents lui présenteront sûrement un jour, même s’il pourra refuser.

Quant à Yasmine Saegesser, femme de théâtre, elle réfléchit à une pièce qui inclurait des jeunes issus de la migration. Un projet qui a germé grâce à sa rencontre avec Ashraf. Un dernier message? «J’invite tout le monde à être marraine ou parrain, car c’est une vraie rencontre, d’où sort toutes et tous gagnants. C’est richissime!»


Le 8 novembre, à 20 heures, Valérie Despont présentera l’Association Nela et les divers projets de mise en lien, tels le parrainage, la conversation française ou la rencontre hebdomadaire autour de la création et la dégustation d’un plat, au Café du Loup à Lausanne (Parc du Loup 3).

Pour davantage d’informations, aller sur: association-nela.ch


«Le parrainage peut changer une vie»

Valérie Despont porte bien son nom, elle qui crée des ponts justement entre Suisses et migrants. Bénévole dans l’association Nela depuis quatre ans, sa motivation est intacte: «Le vivre ensemble, le lien avec l’autre, il n’y a rien de tel. Pour moi, c’est un cadeau que d’entrer en relation avec ces jeunes issus de la migration. Cela donne beaucoup de sens à ma vie.» Elle-même est marraine depuis 2017. Elle a rencontré son protégé, Mostafa, grâce à Action-parrainage, association qui continue de mettre en lien des mineurs non accompagnés et des adultes. En 2019, la professeure d’arts visuels rencontre François Burland, fondateur de Nela, qui œuvre à l’intégration des jeunes issus de la migration à travers l’art. Elle le rejoint pour s’occuper du parrainage de jeunes majeurs. «Dès leurs 18 ans, ils se retrouvent avec beaucoup moins de soutien», explique Valérie Despont. Depuis, elle a mis en lien des centaines d’Afghans, quelques Burundais, des Somaliens avec des habitants du canton de Vaud. Elle a rencontré récemment un Syrien et un Ukrainien. De bouche à oreille, elle est surtout connue de la communauté afghane qui se transmet son numéro de téléphone. «Il m’est arrivé, il y a peu, qu’un jeune m’appelle depuis la Turquie, donc avant d’arriver en Suisse, pour demander un parrainage», s’étonne Valérie Despont. Elle souligne un nombre grandissant d’arrivées depuis la prise de pouvoir des Talibans le 15 août 2021. «Pour échapper à l’enrôlement des Talibans, les jeunes hommes doivent fuir. Parfois, les pères sont emprisonnés, quand ils ne perdent pas leur travail; leurs sœurs pensent au suicide, même si c’est très mal perçu dans leur culture, pour échapper au mariage forcé ou à une vie de désespoir. Quand j’ai commencé, les jeunes Afghans arrivés en Suisse ne vivaient pas dans cette urgence d’aider leur famille restée au pays. Aujourd’hui, en Afghanistan, des gens meurent de faim, des bébés sont vendus pour sauver les autres enfants de la famille… Ceux qui ont migré doivent donc apprendre le français très rapidement, faire un apprentissage ou chercher très vite du travail, qu’importe les conditions, pour envoyer de l’argent – via ce système incroyablement efficace de la hawala (système d’envoi d’argent informel, ndlr), qui est peut-être la seule chose qui fonctionne encore bien en Afghanistan. Ils sont dans un état de stress qui s’ajoute aux séquelles liées à la migration dont le parcours dure parfois plus de deux ans.» Face à la difficulté de rencontrer les gens d’ici, le parrainage est ainsi perçu comme un moyen de s’intégrer. Valérie Despont précise: «C’est souvent un propulseur. Aider à écrire un CV, mettre son réseau à profit, ou simplement passer quelques moments en leur compagnie, sont autant de gestes qui font que, souvent, après quelques semaines, je reconnais à peine les jeunes. Leurs visages changent, se détendent. Ils se sentent moins seuls. Je ne veux pas faire de l’angélisme, mais le parrainage peut vraiment changer une vie. Et de manière réciproque. Même si c’est souvent à la famille de prendre contact, car les “filleuls” ne veulent surtout pas déranger les Suisses qui ont tellement d’activités.»

L’association, qui n’est pas la seule à proposer ce genre de liens*, croule sous les demandes des exilés et recherche donc activement marraines et parrains. «Si les différences culturelles sont importantes, le dialogue est facile. Tous les Afghans que je connais sont curieux de tout, de culture, de découvertes du pays, de sports…. Ce sont des gens des montagnes. Ils adorent la nature, vont s’y ressourcer. Ils aiment marcher dans la forêt. Et ce sont de vrais poètes. Leur regard est très profond, sans superficialité», appuie la quinquagénaire, mère de trois grands enfants. «La crise adolescente vécue ici semble inexistante chez eux. Ils sont très respectueux de leurs parents. Ils adorent la musique et danser…»


* D’autres associations de parrainage existent en Suisse romande, dont:

Vaud: plateforme-asile.ch/action-parrainages; paires.ch

Genève: amicge.ch

Fribourg: parmi-fribourg.ch

Jura: juramigrants.ch

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