Début juillet, les Japonais ont accueilli les caméras du monde entier au port de Kushiro à l’occasion de la reprise officielle de la pêche commerciale de la baleine. Après plus de trois décennies d’interdiction, le gouvernement a décidé de quitter la Commission baleinière internationale. Deux baleines de Minke auront été harponnées ce jour-là. Des images qui crèvent le cœur. L’un des cétacés, de plus de huit mètres de long, majestueux, revient du baleinier sans vie. Le débarquement grâce à un énorme filet est spectaculairement désolant. Une fois au sol, les pêcheurs enduisent la bête de saké, chacun leur tour, rituel oblige. Le mammifère marin sera ensuite découpé et sa viande, rouge, vendue pour être dégustée en sushi, grillade et autres conserves. Les restes du défunt animal seront utilisés à des fins cosmétiques ou pharmaceutiques.
Le plus rageant dans l’histoire, c’est que la consommation de chaire de baleine est très rare au Japon. Selon les statistiques, 95% de la population n’en aurait jamais mangé, ou pas depuis longtemps. Au total, la consommation de baleine représente 40 grammes par habitant et par année. Autrement dit, anecdotique. Le mets est tellement boudé par les Nippons que des tonnes de stocks sont congelées puis écoulées à perte, ou au rabais. C’est là que l’incompréhension règne. Pourquoi continuer à chasser ces baleines si la majorité refuse d’en manger? Eh bien, parce qu’il s’agit d’une tradition ancestrale, qui remonterait à plusieurs milliers d’années, et qui fait la fierté de ce peuple. Y porter atteinte revient, pour certains patriotes, à dénigrer la culture toute entière. Les plus âgés y sont attachés, et pour cause, la viande de baleine était le plat du pauvre par excellence après la Seconde Guerre mondiale.
Les autorités ont avalisé la mise à mort de 227 baleines pour 2019. Est-ce que la tradition, ou encore le rôle salvateur de cette viande à une époque précise, légitime un tel massacre? A l’heure où des milliers de scientifiques tirent la sonnette d’alarme sur l’urgence climatique de la planète, que l’on sait que la biodiversité n’a jamais été aussi menacée et que de nombreuses espèces ont déjà disparu, la réponse coule de source. Il y a quand même une bonne nouvelle: désormais, le Japon ne pourra pêcher la baleine que dans ses propres eaux. Les mammifères pourront donc se repeupler dans l’Antarctique et le nord du Pacifique. Car oui, pendant les trente années d’interdiction de chasse commerciale, l’Empire du Soleil levant continuait tout de même à pratiquer une chasse dite scientifique, dont le fruit se retrouvait sur les étals des poissonniers. Pour le reste, espérons qu’entre le manque d’attrait pour cette viande et la prise de conscience écologique, la pêche à la baleine au Japon ne soit bientôt qu’un mauvais souvenir...