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«C’est brutal, on veut travailler et on vous claque la porte»

Ouvrière de l’horlogerie, Kana* témoigne des difficultés à trouver un emploi après 50 ans, même dans une période de pénurie de main-d’œuvre

«On nous augmente l’âge de la retraite et, à 50 ans, on n’est plus bon à rien, on se sent inutile, c’est désespérant. On va dans le mur.» Présente à l’assemblée de l’industrie d’Unia au Locle (voir ici), Kana* a lancé un cri du cœur en fin de séance: «Les agences de placement offrent sur leur site internet des places d’opératrice en horlogerie et, quand on postule, on nous répond: “Vous ne correspondez pas, le poste a évolué.” Qu’est-ce qui ne correspond pas? Notre âge? Quel avenir pour moi, et pour tous les autres de 50 ans et plus? Nous mettre la corde au cou? Aller au service social? Il nous reste de dix à quinze ans avant la retraite, si on y arrive! Quelle est votre réponse?»

Kana a accepté de partager son histoire avec L’Evénement syndical. Une histoire vécue par de nombreuses personnes, alors que l’économie manque de main-d’œuvre. Opératrice de production et contrôleuse de qualité, titulaire des formations T1 et T2 pour l’emboîtage et le montage des montres, Kana compte plus de 30 ans d’expérience. Elle a travaillé douze ans pour la même entreprise, puis quelques années dans une autre société et, enfin, dans une manufacture de cadrans. «J’ai été licenciée en 2018, l’année de mes 50 ans. J’ai retrouvé du travail comme temporaire en 2020, dans une grande entreprise du Val-de-Travers. J’avais un contrat pour deux ans. Le Covid est arrivé au milieu. A la fin de mon mandat, j’ai signé un nouveau contrat pour deux ans. Le directeur m’a dit qu’un poste serait trouvé pour moi. Sans nouvelle, j’ai contacté mon futur chef qui m’a informée que le local des machines étant en réaménagement, ce serait pour plus tard. Ils devaient m’écrire. C’était au printemps. En septembre, toujours pas recontactée, j’ai écrit au RH que je connaissais. Puis, j’ai appelé mon ancien chef. Deux jours après, je recevais un e-mail me demandant d’arrêter de harceler les responsables!» Pour Kana, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. «J’ai pété un câble.» Sous pression aussi de l’ORP qui la menaçait de sanctions, l’ouvrière se retrouve en burn-out, en dépression, des idées noires dans la tête. Elle s’était aussi présentée dans une agence de placement, A à Z à Neuchâtel. «Le responsable m’a démontée! Il m’a raconté sa vie et, à la fin, il m’a dit: “Vous pouvez repartir, dès 50 ans, vous coûtez trop cher aux patrons”…»

Depuis quelques mois, Kana est au social, comme elle dit. Elle touche 2500 francs par mois. Et s’inquiète que l’aide sociale puisse aller piocher dans son libre passage du 2e pilier. L’ouvrière poursuit ses recherches d’emploi, sans succès. «Avant, je gagnais 4500 francs brut. Je me suis présentée à un poste l’automne passé. Ils proposaient 4100 francs. Je l’aurais accepté, mais ils ne m’ont de toute manière pas prise.» Et de parler de ces places vues en décembre sur le site de l’entreprise temporaire BM-emploi: «J’ai postulé pour un poste d’opératrice en horlogerie. J’ai reçu une réponse négative, le poste avait changé, m’ont-ils dit! Mais il est toujours sur le site, un mois après…» Téléphone en main, ouvert sur la page internet de l’agence, elle montre un autre poste, affiché depuis plus de trente jours et noté «urgent». Il lui avait aussi été refusé. «C’était pourtant des postes basiques. Et j’ai appris qu’ils n’arrêtent pas d’engager! Des jeunes surtout.»

Jeunes engagés en nombre

Une réalité confirmée par un horloger: «Tous les jours, les entreprises engagent du monde. Surtout des jeunes, malléables, venus de l’autre côté de la frontière. En France, ils gagnent 1500 à 2000 euros. Ici, ils touchent 3500 francs.» Une femme à ses côtés ajoute: «Les patrons jouent avec les intérimaires, qui restent très longtemps dans l’entreprise mais dont ils peuvent se séparer quand ils veulent.» Et le travailleur d’imager: «Les intérimaires sont considérés comme des sacs de sable dans une montgolfière, qu’on déleste quand c’est nécessaire.»

Kana a fait partie de ces temporaires, variable d’ajustement. A 55 ans, elle en est désormais exclue. «C’est brutal. On a envie de travailler. Mais on vous claque la porte. Tout passe par les agences de placement. Il n’y a plus l’humanité qu’il y avait avant. Je suis vraiment déçue. Mais je garde l’espoir.»

* Prénom d’emprunt.

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