«C’est la Rolls-Royce de la luge!»
Dans son atelier des Diablerets, le menuisier-charpentier Bruno Morerod façonne des luges en bois haut de gamme. Avec l’aide de sa fille Loyse, il en construit une trentaine par année. Amoureux de la glisse et du travail bien fait, cet artisan n’est pas peu fier de ses créations
La voiture gravit tranquillement une route enneigée qui serpente à l’ombre du massif des Diablerets. Puis, traverse au ralenti pistes de luge et de ski avant de s’arrêter devant la menuiserie-charpenterie Morerod. Bruno, le patron, nous accueille avec un grand sourire. Ce septuagénaire énergique a la poigne encore ferme, le regard malicieux et un solide accent de la vallée des Ormonts.
A sa suite, nous découvrons le vaste hangar qui abrite son entreprise. L’air y est saturé des odeurs de sciure. Tout au fond, il y a l’atelier à proprement dit où il passe le plus clair de son temps avec deux ou trois de ses plus anciens ouvriers. Les autres travaillent en plaine, à la succursale d’Aigle, sous les ordres de son fils Joël. Quand on lui parle retraite, notre hôte rigole: «Franchement, vous me voyez ne rien faire?»
Fondée voilà un peu plus de quarante ans, sa société s’est spécialisée dans la construction et la rénovation de chalets, la réalisation d’abris de berger héliportables et la confection de… luges. «Ça, c’est une activité accessoire», précise-t-il. Mais qui lui tient à cœur et dont il n’est pas peu fier. «Tout est fait à la main avec amour et passion, c’est du vrai artisanat!» Ses moustaches frétillent.
Le plus étonnant dans cette histoire, c’est que ces véhicules à patins n’étaient pas destinés à être commercialisés au départ. «L’idée, c’était que les Compagnons du Tour de France, qui font régulièrement étape chez nous depuis une vingtaine d’années, repartent d’ici avec une luge qu’ils avaient construites.» La suite? «Eh ben, des gens ont vu ces luges et nous ont demandé si on en vendait. C’est comme ça que tout a démarré.»
Swiss made
Sa fille Loyse nous rejoint. Depuis l’été passé, elle aide son papa à façonner ces minitraîneaux haut de gamme. A eux deux, ils en fabriquent une trentaine par année. «Mon père fait l’essentiel du boulot, c’est lui qui possède le coup de main, le savoir-faire. Moi, j’apprends petit à petit en l’observant. Pour l’instant, je me contente d’effectuer des opérations simples et quelques finitions aussi.»
Leurs engins sont en frêne du Jura, «un bois à la fois souple et résistant». Et esthétique également, puisque cette essence indigène se décline en deux couleurs, blanc et rouge. Pour les patins, Bruno utilise de fines planches qu’il colle, cintre et scie. Les autres éléments – longerons, chevalets et traverses – sont taillés et rabotés. L’ensemble est ensuite poncé, verni et assemblé. «En tout, il faut compter environ dix-huit heures de travail par luge.»
Pour l’assise en cuir, les Morerod sous-traitent. «Nous faisons appel à des artisans de la région, établis respectivement à Château-d’Œx et Corbeyrier.» Quant aux semelles de ski destinées à assurer le meilleur coefficient de glisse possible à leurs bolides, ils les importent directement du canton de Lucerne. Au final, des produits 100% suisses. «On vous le dit, c’est la Rolls-Royce de la luge!» En comparaison, la classique «Davos» paraît en effet un brin pâlotte, austère, rudimentaire...
En piste!
Avec leur centre de gravité très bas et leurs patins articulés, les petits bijoux manufacturés dans les Alpes vaudoises sont à la fois stables, maniables et rapides. De vraies bêtes de course que Bruno prend toujours plaisir à chevaucher. Parfois même en compagnie de ses employés. Pas pour tester les nouvelles luges, non! Juste pour le plaisir que ces folles descentes lui procurent encore et encore.
Située à deux pas, SA piste, celle des Diablerets, il la connaît comme sa poche. Elle suit les courbes de la route du col de la Croix. Très exactement 7,2 kilomètres pour 552 mètres de dénivelé. «Avec de l’entraînement, on peut quasi la descendre sans freiner.» Pour autant que l’on arrive à franchir les obstacles qui émaillent le parcours. En particulier, les deux virages en épingle à cheveux du début. «Si on arrive à tailler ces courbes, on fait partie des bons lugeurs.»
Ce grand enfant de 72 printemps a de l’expérience. Il dévale les pentes depuis qu’il est haut comme trois pommes. A commencer par la bosse qui dominait la ferme familiale. «Chaque gamin avait sa luge, faite avec le père. Lui avait la sienne et on avait l’interdiction d’y toucher.» C’est là aussi que sa sœur Lise-Marie – la future championne de ski – a chaussé ses premières spatules. Souvenirs, souvenirs.
Bouche à oreille
Retour à l’atelier. Loyse et Bruno exhibent une de leurs dernières pièces, avec placet en peau de vache du plus bel effet. «On nous l’a commandée pour un anniversaire.» Sur l’un des patins de celle-ci, figure l’inscription «Made in Les Diablerets by Morerod», leur signature. Son prix? «Autour de mille francs. En fait, cela varie un peu en fonction du degré de personnalisation de chaque modèle.»
Nous sortons pour la photo. Complices, père et fille s’amusent à prendre la pose. Pas gênés pour un sou. Il faut dire qu’ils ont l’habitude des médias. Surtout le papa. «On est même passés sur TF1, deux fois à 13 heures et une fois à 20 heures. C’était de la folie, c’est là qu’on a eu les premières commandes de France.» Autrement, leur seule et unique publicité, c’est le bouche à oreille...
Leurs clientes et leurs clients proviennent de tous bords, de tous horizons. «On a de tout, du jeune papa qui veut initier son enfant aux plaisirs de la glisse à une baronne qui a reçu une de nos créations à son mariage. Chaque luge a son histoire.» Dernier clic-clac. Loyse s’en va. Il est temps pour elle d’endosser son rôle de maman. Bruno nous invite à boire un café chez lui, dans l’ancienne ferme qui fait face à son entreprise. Cet Ormonan adore luger et... batoiller.