Douze prévenus condamnés, les élus plus lourdement
Vendredi 11 février, le juge a condamné lourdement les participants au blocage de la rue Centrale à Lausanne en décembre 2019: entre 15 et 20 jours-amendes avec sursis, des amendes de 300 à 1000 francs et des frais de justice en sus. Les élus locaux ont été plus lourdement sanctionnés. Le juge, s’il n’a pas remis en question la sincérité et le mobile non égoïste des prévenus, n’a par contre retenu ni la liberté de manifester pacifiquement ni l’état de nécessité, soulignant que le Tribunal fédéral dans un arrêt avait estimé que le réchauffement climatique n’était «pas un danger durable ni imminent» – générant murmures et rires jaunes étouffés dans la salle d’audience – au sens de l’état de nécessité licite prévu par l’article 17. Il a par ailleurs estimé que cette action de blocage n’avait pas eu un impact direct sur le dérèglement climatique. A la sortie du Tribunal, une avocate présente dans le public, Me Wettstein, souligne: «Ce décalage entre le juridique et le bon sens commun est brutal. Comment peut-on affirmer que le danger climatique n’est pas imminent?» Son confrère Me Gaspard Genton dénonce, quant à lui, un jugement «qui nie le caractère profondément démocratique de la manifestation». «De surcroît, devenir conseiller communal signifierait de ne plus pouvoir manifester. C’est une absence de conscience historique des mouvements sociaux», déplore-t-il. Valérie D’Acremont, conseillère communale Verte à Lausanne, explique pour sa part: «Par mes actes, je me sens fidèle à ce que j’ai promis en m’engageant en politique: défendre la population. On nous accuse de contrevenir à l’ordre public; or, paradoxalement, on essaie justement de prévenir le désordre qui pourrait découler du manque d’eau et de nourriture. Il s’agit de préparer un monde résilient, une société alternative pour éviter les risques de conflits sociaux.»
Deux cantons, deux justices
Les procès climatiques en cours ne garantissent pas les conditions d’équité. Tel est le constat de l’Association des 200 et du collectif de quelque 25 avocats qui défendent les inculpés. Ils dénoncent, entre autres, le refus de jonction des causes, soit un procès unique pour tous, et le refus par la Cour d’entendre des experts. Une situation qui a poussé cette fois-ci les douze prévenus à ne pas demander l’assistance d’avocats, estimant qu’ils étaient préjugés, sans compter qu’ils ont été convoqués deux semaines plus tôt seulement.
L’Association des 200 fustige également l’effet dissuasif des sanctions pénales qui constitue une attaque ciblée contre les droits des manifestants. Depuis octobre, la moitié des 200 prévenus ont été jugés au Tribunal d’arrondissement. La grande majorité a déjà fait appel, tout comme le premier militant à avoir été entendu fin janvier par le Tribunal cantonal. Et ce, malgré un allégement de peine.
Sur le fond, les avocats, dans leurs plaidoiries, s’appuient sur la liberté de manifester, de réunion pacifique et d’expression garantie par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). A noter que cette dernière estime qu’une autorisation préalable n’est même pas nécessaire en cas de manifestation pacifique. De surcroît, dans le cas des blocages organisés par Extinction Rebellion, ils ont toujours été annoncés aux autorités.
Avocats et prévenus s’insurgent également contre une justice à deux vitesses. A Genève, en décembre, la Cour d’appel a acquitté des militants pour le climat, car selon elle, il n’était pas admissible de sanctionner des personnes pour avoir participé à un rassemblement pacifique, même sans autorisation. «Sur la base d’un même état de fait, des prévenus sont condamnés dans le canton de Vaud et acquittés à Genève. Il s’agit d’une problématique institutionnelle puisque deux cantons apprécient différemment le droit de manifester, explique l’avocat genevois Me Moghaddam. Si des variations sont toujours possibles, ici la différence est fondamentale. Dans ses arrêts, la Chambre d’appel de Genève souligne le caractère pacifique des manifestations et la gêne tolérable d’une légère perturbation du trafic dans un Etat démocratique.» Et de souligner aussi que la jonction des causes aurait dû s’appliquer dans le cas des 200. «A Genève, une audience avec 181 parties a pu être organisée. Pourquoi pas à Lausanne?»