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Créer c'est s'extérioriser

Mario Melis consacre une large partie de son temps libre à la céramique. Un art qu'il pratique avec talent mais humilité

Employé de la ville de Lausanne, Mario Melis consacre une large partie de son temps libre à la céramique. Un art qu'il pratique avec talent, bien qu'en toute humilité

Pas question d'utiliser le qualificatif d'artiste ou d'œuvres pour parler de la passion de Mario Melis. L'homme réfute ces termes, se présentant comme «un artisan qui crée des pièces». Ses réalisations, décoratives et utilitaires, témoignent néanmoins d'une grande maîtrise de la céramique. Vases, amphores, plats et autres contenants se déclinent le plus souvent dans d'élégants et grands volumes, l'homme de 60 ans n'appréciant guère travailler les petits objets. «La raison? J'aime relever les défis que représente l'exécution de grosses pièces. Il faut les maintenir sur le tour, apprendre à gérer la hauteur, ne pas brûler les étapes et rester concentré. Le moindre faux mouvement et tout est foutu», explique Mario Melis, formé à cet art en Espagne alors qu'il s'était rendu dans ce pays pour peaufiner ses connaissances de carreleur indépendant. «J'étais inscrit à des cours pour me former au carrelage mural et au bas-relief. Un jour, je suis entré dans l'atelier de poterie, me suis assis devant un tour et j'ai oublié tout le reste» relate ce passionné qui fabrique aussi ses émaux et se plaît à expérimenter différentes techniques dans sa pratique. Les œuvres sorties du four, le céramiste jauge son travail. Et se montre parfois impitoyable. Un coup de marteau pour les pièces qui lui déplaisent. Un sursis pour celles qui ne le convainquent qu'à moitié - «je les laisse deux mois dans un coin avant de décider de leur sort», les autres finissant sur un présentoir de l'atelier, avant d'être vendues sur des marchés. Ces dernières sont celles qu'il reconnaît comme siennes. Pas par ses yeux. Mais par ses mains, précise-t-il. L'épilogue d'un processus qui débute toujours par des croquis et un indispensable état d'esprit pour entamer le façonnage du grès au tour.

Sérénité de rigueur
«Je commence par me centrer, faire le vide, comme une forme de yoga», détaille Mario Melis, fasciné par cette vie que prend la terre sous l'énergie du tour. Et se définissant volontiers comme un contemplatif. «Il faut toujours avoir l'humilité de progresser alors selon son expérience, sa concentration et sa force», note encore l'artisan qui affirme avoir besoin de sérénité pour créer. Pas toujours facile quand on travaille à 90% comme encadrant dans le contexte des Emplois temporaires subventionnés développés par la ville de Lausanne. «J'aide des chômeurs à acquérir des compétences dans les domaines de la maçonnerie et du carrelage. Des personnes souvent fracassées», relève Mario Melis, confronté au quotidien aux problèmes rencontrés par cette population, même s'il adore échanger avec elle. Et ressent un réel bonheur quand il apprend qu'un de ses «élèves» a fini par décrocher un job. Reste que cette situation ne favorise par toujours une grande zénitude nécessaire à sa pratique. «Il faut arriver à déconnecter. Parfois, je suis trop touché par les événements. J'ai besoin de sécurité pour créer.» Un drame survenu il y a trois ans a aussi entamé son envie de faire: la perte d'une de ses filles de 18 ans, accidentellement happée par un train. «Je n'ai plus la même motivation. Je produis moins», confie, la voix blanche, ce père le bras tatoué du regard de cet enfant décédé, qui a encore deux autres filles. Et un parcours de vie riche et atypique.

Trois vies
«J'ai trois vies», raconte ce Sarde d'origine, arrivé avec sa famille dans nos frontières enfant, en 1959, et faisant allusion aux trois compagnes qui ont successivement partagé son existence. Actuellement marié avec une Québécoise, l'homme vit dans un petit village vaudois, au cœur d'une nature qui le ressource. De ses racines, il dit avoir «tout gardé», lui qui se rend souvent sur sa terre natale. Lit et comprend le sarde. Et maîtrise la langue de Dante. «Je conserve un attachement à ma terre que seuls les îliens comprennent.» Et aussi des traits de caractère de cette population hospitalière, au tempérament «grave et orgueilleux». «J'ai hérité d'un peu de cette gravité», relève l'immigré, profond, franc de collier, qui associe le bonheur au fait de «pouvoir regarder quelqu'un dans les yeux en souriant, sans arrière-pensée». Pessimiste, soucieux pour l'avenir de l'humanité, l'homme s'abandonne souvent à de profondes réflexions. Il ne possède plus de TV, las de nouvelles anxiogènes, et trie sur le volet les programmes radio.

Le rêve pour atout
«L'ambiance générale du monde me pèse», soupire Mario Melis qui déplore dans la foulée le manque d'écoute, la superficialité des contacts, la société zapping, les réseaux sociaux vides de vrais échanges... «Je ne me sens pas à l'aise là-dedans. Et j'aime prendre mon temps.» Heureusement que ce natif du taureau - un animal qui évoque aussi la terre de ses ancêtres et dont les cornes, stylisées, personnalisent ses cartes de visite - possède un atout majeur. «Le rêve, l'imaginaire. Une faculté de me projeter ailleurs», note le sexagénaire qui se réjouit de la retraite. «Pour faire enfin tout ce que j'ai envie, ce qui me fait vibrer.» Dont des activités de bénévolat, souffle-t-il - alors que l'on perçoit chez cet être une générosité de cœur naturelle - et bien d'autres choses encore, sans oublier, évidemment la céramique. «Ce que c'est que créer? Une manière de s'extérioriser. D'utiliser d'autres mots. De se révéler. Un peu.» Avec, à la clef, des pièces riches en émotions qui contribuent à leur force esthétique...

Sonya Mermoud