Le 3 mai dernier, nous fêtions la 25e Journée mondiale de la liberté de la presse. On dit souvent que 25 ans est l’âge de raison, de la maturité. Notre si chère liberté de la presse, si tant est qu’on puisse encore l’appeler ainsi, a encore du pain sur la planche. Les observateurs disent même que la situation a empiré. L’année 2017, avec 65 journalistes tués, a été selon Reporters Sans Frontières la plus meurtrière depuis 14 ans pour la profession. 2018 battra sans aucun doute ce triste record, étant donné que plus de 40 de nos confrères ont déjà été assassinés dans le monde depuis le 1er janvier. Cerise sur le gâteau: justice n’est jamais rendue, car 90% des crimes commis contre les journalistes restent impunis. Sur le papier, le droit à l’information est un droit fondamental reconnu et protégé par la loi, mais sur le terrain, le bâillon est toujours de rigueur et les journalistes sont de plus en plus en danger.
Pas besoin d’être journaliste en Corée du Nord, en Syrie, en Chine, en Turquie ou encore à Cuba pour être confronté à cette réalité. L’hostilité envers les médias gagne toutes les régions du monde, y compris les démocraties occidentales. L’Europe, un continent pourtant traditionnellement sûr, a été frappée par deux assassinats de journalistes d’investigation en l’espace de cinq mois, à Malte et en Slovaquie. Reporters Sans frontières en est convaincu: les chefs d’Etat ont leur part de responsabilité dans ce climat de haine. En effet, un nombre croissant voit les médias non plus comme un fondement essentiel de la démocratie mais comme des adversaires. Donald Trump n’a aucun problème à les qualifier d’«ennemis du peuple», le président tchèque Milos Zeman s’est présenté à une conférence de presse muni d’une kalachnikov factice sur laquelle était inscrit le mot «journalistes». La France a quant à elle brillé dans l’exercice du mediabashing pendant la dernière campagne présidentielle, notamment à travers Jean-Luc Mélenchon qui a crié au complot médiatique et déclaré que «la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine».
En Suisse, le problème se présente différemment mais est tout aussi inquiétant. Même si la menace qui pesait sur le service public à travers la votation sur la suppression de la redevance No Billag a été écartée, d’autres signaux sont au rouge. D’abord, la concentration toujours plus accrue des médias, mais aussi l’accaparement des titres par l’ex-conseiller fédéral UDC Christoph Blocher qui est littéralement en train de construire un empire médiatique, ou encore les licenciements massifs dans les rédactions (ATS et Tamedia) qui mettent en péril la couverture médiatique du pays, et de fait, la démocratie. Outre l’appauvrissement de la diversité de la presse, le syndicat des journalistes Impressum pointe de plus en plus de professionnels victimes d’accusations «insensées» et traînés devant les tribunaux. «Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue», disait déjà le président américain Thomas Jefferson au tout début du XVIIIe siècle. Tâchons alors de la soigner.