Pasteur de la paroisse de Vaulion-Romainmôtier, Nicolas Charrière ne conçoit pas sa mission sans engagement. La foi, les yeux ouverts
Ni guide. Ni intermédiaire. Nicolas Charrière, marié et père de trois enfants, est un être humain comme les autres, avec ses fragilités et ses ambiguïtés. Ses doutes et ses peurs, comme celle de se perdre dans des choses sans intérêt. Un homme qui a décidé de cheminer aux côtés de personnes en quête de spiritualité. De se mettre à leur service, «de prendre soin d’elles». Une mission où il n’y a pas de supérieur mais juste un interlocuteur prêt à écouter. A s’engager. A offrir son temps et ses compétences à la communauté sur laquelle il veille. A se taire quand les mots volent en éclats devant des peines incommensurables. A tisser des liens entre croyants. «Mon travail c’est aussi apprendre à aimer tous les gens, le monde, la création. Mais c’est peut-être là le job de chacun», relève encore ce Vaudois de 45 ans qui, consacré pasteur en 2003 et responsable depuis 2017 de la paroisse de Vaulion-Romainmôtier, s’est tout au long de son parcours frotté à nombre de situations difficiles. Côtoyant misère et détresse. Confronté aux facettes les plus sombres de la vie humaine.
Au-delà de l’acte commis
A la fin de ses études de théologie, Nicolas Charrière intervient comme pasteur de rue suffragant à Lausanne. Le local où il travaille un jour par semaine accueille des SDF et surtout des toxicomanes. Un havre où les marginaux peuvent boire un café, se restaurer, recevoir des soins de base et, surtout, s’alléger de leur colère. De leur souffrance. De leurs interrogations. «Ils attendaient rarement de réponse. Ils ressentaient seulement le besoin d’être entendus. Nous ne parlions pas de Dieu. C’était juste des petits bouts de chemin que nous faisions ensemble et qui en ont aidé peut-être certains», explique Nicolas Charrière, précisant avoir «la foi, les yeux ouverts».
Le pasteur travaille ensuite une dizaine d’années à Payerne avant de se lancer un nouveau défi en acceptant un poste dans les prisons de la Croisée, à Orbe, et de la Tuilière, à Lonay. Rien d’évident. L’homme va se confronter à des détenus au passé parfois terrifiant, entre meurtres, viols, pédophilie, infanticides... «Difficile de ne pas porter de jugement, mais on ne saurait réduire un individu à l’acte commis. Il faut élargir le regard sur l’autre pour lui offrir une chance d’agir de même. Il est nécessaire que la vie soit encore possible au-delà de la faute», explique le pasteur qui évoluera presque sept ans dans le milieu. Du lourd. Et une foi souvent bousculée.
Confiance et intuition
«Si je doute? En permanence. Ma foi est constamment secouée par les horreurs, les atrocités de l’humanité mais, en même temps, par l’infinie beauté de personnes, de rencontres, du monde», lance le pasteur qui, bien que ne détenant aucune preuve de Dieu, reste persuadé de son existence. «Une certitude de l’ordre de la confiance et de l’intuition. Dieu c’est, en trois mots, présence, soin et mystère», souffle cet homme d’Eglise qui a évolué dans une famille plutôt critique à l’égard de la religion. Posture qu’il partageait, tout en reconnaissant avoir toujours été habité par le sentiment «de quelque chose de plus grand». Et militant alors pour davantage de justice sociale. Le déclic? Des échanges avec des professeurs de latin et de philosophie humanistes et d’autres étudiants. «Ces discussions et la lecture de la Bible m’ont révélé que j’étais croyant. J’ai été surpris et soulagé en même temps», raconte celui qui prendra un congé sabbatique d’un an pour s’assurer d’emprunter la bonne voie. Une vocation qu’il conciliera avec sa personnalité. Son ouverture d’esprit et des engagements qu’il trouve justes. Quitte à déplaire à certains. «On a plusieurs fois demandé ma démission», relève le pasteur qui s’est largement mobilisé en faveur de la bénédiction des mariages LGBT en terre vaudoise. Avec succès. Comme il n’a pas hésité à prendre des risques pour venir en aide à des réfugiés. «Certaines situations particulières nécessitent de s’investir au-delà de ce qui est autorisé.»
Tête en bas
Fan de musique pop, rock, heavy metal et punk, Nicolas Charrière, ex-batteur, gratte aujourd’hui de la guitare, chante et continue à se passionner pour les groupes de sa jeunesse. «Une musique qui véhicule de l’authentique, de la révolte... Une manière d’être humain dans toute sa complexité», affirme le pasteur atypique qui se distingue également par son intérêt pour les... mygales – l’homme en possède pas moins de septante plus une, virtuelle, tatouée sur son épaule. «Je les trouve belles, intéressantes. Il y a presque un côté méditatif à s’en occuper, une manière de se vider la tête», explique le passionné qui abrite encore dans son foyer deux serpents, un scorpion et deux chats. Durant son travail dans les prisons, le quadragénaire – qui se définit comme une personne enthousiaste, réfléchie et impulsive à la fois et parfois sombre («mais ça ne dure alors jamais») – s’est aussi fait tatouer sur l’avant-bras une croix celtique. Un symbole mélangeant des influences judéo-chrétiennes et des traditions religieuses du nord de l’Europe illustrant son respect pour la pluralité des chemins spirituels... Gravé encore sur sa peau, un imposant dragon à l’esthétique médiévale incarnant le diable dans la théologie chrétienne et la dualité. «Mais j’ai représenté l’animal vaincu, la tête en bas», sourit Nicolas Charrière qui confie se ressourcer dans la prière et la musique, et aimer la forêt. «C’est là mon côté un peu ours, solitaire qui ressort», rigole ce sympathique pasteur qui, jetant un œil dans le rétroviseur de sa vie, dira: «Je porte un regard plutôt bienveillant sur mon vécu. Tout en partageant cette idée: “Tu es parfait comme tu es, continue à t’améliorer.»