Il est troublant d’observer certains individus qu’on aimerait briser au sein de l’espèce à laquelle on appartient soi-même. De nous extraire mentalement de nos congénères pour les y repérer plus efficacement, les approcher et les détruire au moins par la grâce du verbe. C’est pourtant bien la tâche qu’il nous faut mener en ce début d’année. J’y songeais en me promenant l’autre jour au bord d’un lac faisant miroir aux montagnes d’en face, ô spectacle infini, quand le jeu de ces masses minérales et de leurs reflets m’inspira jusqu’à propulser dans ma rêverie tout un cortège de questionnements et d’hypothèses en apesanteur.
Je me disais: et si les Trump, les Vance et les Musk de cet an 2025 n’étaient que le produit d’une angoisse paradoxale inouïe surgie voici des dizaines de millénaires? Au Néolithique? Quand s’instilla dans l’esprit de nos ancêtres lointains le projet de posséder le décor environnant, en s’y réservant leurs premiers jardins et leurs premiers champs? Quand ces premiers cultivateurs de plantes et ces domesticateurs d’animaux commencèrent à bafouer les principes ayant régi jusque-là le Vivant si somptueusement varié? En s’instituant comme ses maîtres progressivement tout-puissants, mais aussi comme ses lèse-majestés sacrilèges brusquement dévastés par la fatalité de leur propre mort?
Je continuai ma pensée: et si ces Trump et ces Vance et ces Musk avaient oublié les lois de la courtoisie typiques de ce Vivant? De ces lois voulant qu’aucune sorte des animaux et des plantes qui le composent ne maltraite ses voisines au point de les exterminer? Ne les brutalise au point de les faire fuir en des régions défavorables pour elles? Ou ne les repousse de leurs territoires avant d’avoir éprouvé leurs qualités de complémentarité possible avec elles-mêmes, sous le signe d’une symbiose éventuelle?
A ce moment-là de mes raisonnements, j’avais bifurqué pour m’éloigner un peu du lac en m’approchant d’un bosquet d’arbres et de futaie dont je savais qu’il abritait un marais peuplé de joncs, de rainettes et de crapauds.
Puis, je fus repris par mon interrogatoire intérieur. Et si ces Trump, ces Vance et ces Musk étaient incapables d’élever leur mental à la hauteur du génie technique déployé par notre espèce depuis l’Antiquité? De conserver la moindre aptitude à réfléchir au sein des proliférations générationnelles ayant mué nos villes en silos démographiques, sous le règne de la vitesse écrasant nos corps et nos âmes? Sous celui de nos réseaux sociaux? De nos mitrailles iconographiques? Nourries par l’image reproductible sans limites et falsifiée jusqu’aux mines de rien du mensonge intégral?
C’est ainsi qu’en cheminant vers le bosquet, dont je me rappelais justement l’ombre fraîche et la symphonie des coassements, j’instruisais le procès de ces Trump, de ces Vance et de ces Musk irrémédiablement déterminés, mais au plus secret de leur psyché, par l’angoisse ancestrale évoquée tout à l’heure. Marqués par celle-ci jusqu’à construire autour d’eux des remparts d’aveuglement. Autrement dit d’imbécillité. Et ne sachant plus qu’aiguiser, barricadés derrière ce triste abri, une malignité dénuée de toute intelligence. En s’obsédant exclusivement de leur propre sort. En s’enfermant dans la bulle ou la cellule de leur non-rapport au monde. En devenant fous.
En ne suivant plus guère que les protocoles de l’accumulation matérielle et de l’enrichissement personnel, quels qu’en soient les coûts pour autrui, pour le peuple des démunis, pour le peuple des migrants et même pour l’Etat qui les a vus naître et qui les a protégés, et qui les a favorisés. En faisant primer les gestes et les jouissances de l’accaparement, de la prédation et de la possession y compris des femmes.
Bravo, m’exclamai-je en silence avant d’atteindre enfin le bosquet pour conclure ma promenade, bravo le triste Trump dont les loufiats gouvernementaux répètent la parole comme les fonctionnaires du Grand Timonier nord-coréen qui gavent devant lui leur calepin de notes serviles, bravo le triste Vance et bravo le triste Musk, toi qui propulses ta Tesla dans les étages de l’espace pour y marquer de ta pisse automobile les déploiements de ton domaine, ah quel pathétique et terrifiant petit trio d’enfants détraqués du Néolithique vous faites, toi la mèche teinte, toi les yeux tout enfoncés dans ta tête et toi le gesticulateur en mode nazi, qui vous couchez d’un seul mouvement aux pieds du modèle des modèles, ce Poutine empoisonneur et violeur de frontières qui dope vos fantasmes à l’infini.
Et voilà, j’étais arrivé sur les bords du marais que venait de détruire un commando de machines, joncs en miettes et silence de mort. C’était midi.