Unia regrette que le Tribunal fédéral donne raison à des entreprises qui ont payé des frontaliers en euros tout en ne se prononçant pas sur le fond du problème
Pas très courageux le Tribunal fédéral (TF). Les juges de Mon-Repos ont admis le recours de deux entreprises, Von Roll et Marquardt, qui payaient les salaires de leurs employés frontaliers en euros. Ces deux sociétés avaient été condamnées, par le Tribunal cantonal du Jura pour la première et par la Cour suprême de Schaffhouse pour la seconde, à verser des indemnités à deux travailleurs qui réclamaient que la différence de salaire résultant du taux de change défavorable leur soit payée. Par trois voix contre deux, le TF a renoncé à se prononcer sur la légalité d’une telle mesure. L’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne prohibe pourtant en principe cette discrimination salariale. Les juges ont estimé qu’il était «abusif» de la part des employés d’exiger une indemnité alors qu’ils avaient accepté une modification de leur contrat et qu’ils connaissaient les difficultés que rencontrait leur entreprise face au franc fort. Selon l’ATS, les deux juges minoritaires ont soutenu, au contraire, qu’on ne pouvait pas reprocher aux salariés d’avoir accepté une modification contractuelle, la seule alternative étant alors le licenciement.
Payer en euros est illégal
«Cet arrêt est problématique: un salarié mis sous pression par son employeur pour accepter des conditions illégales – car oui, payer le salaire en euros est illégal! – commet un abus en réclamant son dû après coup», relève sur les réseaux sociaux le spécialiste du droit du travail Jean Christophe Schwaab.
En renvoyant la responsabilité sur la «partie faible du contrat de travail, à savoir les salariés», «le TF ignore les réalités du monde du travail», critique de son côté Unia dans un communiqué. Le syndicat, qui s’était notamment engagé pour que la direction de Von Roll renonce à cette disposition, «attend les considérants de ces jugements avant de tirer des conclusions politiques».
En 2012, le Conseil national avait refusé par 118 voix contre 62 de donner suite à une initiative parlementaire de la socialiste tessinoise Marina Carobbio visant à interdire les salaires en euros. Le sujet pourrait bien revenir dans un avenir proche sur la table du Parlement. «En Suisse, on doit payer les salaires en francs suisses», martèle Aldo Ferrari, vice-président d’Unia. «Cela doit être gravé dans le marbre de la loi pour éviter les dérives», estime pour sa part Patrick Cerf, responsable du secteur industrie d’Unia Transjurane.
Dans le Jura, Von Roll avait entrepris en 2011 de payer en euros près de 120 travailleurs frontaliers de ses sites de Choindez et de Delémont. Unia avait saisi les instances de la Convention collective de travail (CCT) de l’industrie des machines, mais la société avait refusé de se plier à la décision d’un tribunal arbitral, avant de quitter la CCT. Ensuite, le syndicat a soutenu les actions en justice de travailleurs, mais le groupe métallurgique a recouru au TF lorsqu’il a été condamné en 2017 au paiement d’une indemnité de plus de 18000 francs à l’égard d’un ancien collaborateur.