Virage à l’extrême droite, aussi dans les rangs syndicaux
La sociologue Sophie Bose, chercheuse à l’Université d’Iéna en Allemagne, a présenté le résultat d’une étude intitulée «Populisme de droite: de la colère contre le “système” au lieu de la solidarité syndicale?»
«Les forces populistes de droite connaissent un succès supérieur à la moyenne chez les salariés et les syndicalistes, surtout chez les hommes... Le parti d’extrême droite AFD, Alternative pour l’Allemagne, fondé en 2013, a par exemple recueilli, aux élections fédérales de septembre 2017, 21% des voix auprès des ouvriers, 15% auprès des membres des syndicats (à titre de comparaison, l’AFD a obtenu 12,6% de tous les suffrages).» Pourquoi ce type d’orientation rencontre-t-il l’adhésion croissante de travailleurs? Afin de comprendre le phénomène, la sociologue Sophie Bose a mené une étude qualitative auprès de permanents syndicaux, de représentants de comités d’entreprise et de la jeunesse pro et anti-AFD et de Pegida, mouvement anti-islam. Ce «forage» en profondeur s’est déroulé dans le Land de la Saxe, à l’est de l’Allemagne, dans le contexte syndical d’IG Metall. S’il n’est pas nouveau de voir l’extrême droite se profiler dans les masses laborieuses, a précisé d’emblée Sophie Bose, le noyau actif syndical y résistait jusqu’alors. «Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On assiste à une désinhibition. On glisse de plus en plus à droite, aussi dans les comités d’entreprise», a relevé en substance la chercheuse avant de partager les principales conclusions de l’enquête.
Amertume et bouc émissaire
«Les ouvriers pensent que leur situation ne peut pas s’améliorer. En dépit du regain économique, ils estiment ne pas y participer. Ne pas être pris au sérieux. Ils ressentent de la frustration. Pour eux, être allemand devrait rimer avec le droit de bénéficier d’une bonne vie. Et ils en sont privés.» Une appréciation qui trouve un écho dans la réalité, la République fédérale d’Allemagne étant désignée par les économistes libéraux comme l’un «des pays les plus inégalitaires du monde industrialisé». Près de trente ans après la réunification du pays, l’Est reste en effet à la traîne avec des salaires en moyenne 19% plus bas qu’à l’Ouest et des conditions de travail souvent moins bonnes. Les habitants de cette partie de l’Etat sont aussi sous-représentés dans les médias, la culture, la formation, le public... Le sentiment d’être hors de la «normalité» génère la rancœur des ouvriers. «Je gagne 1600 euros brut... Je ne peux en vivre. Ne suis-je pas un Allemand?... Comme toujours: l’Allemand de l’Est peut survivre. Celui de l’Ouest, lui, ne se lèverait même pas pour cet argent.» Amertume et mécanisme du bouc émissaire. «Plus l’espoir de gagner dans les luttes de répartition entre les riches et les pauvres est faible, plus les ouvriers ont tendance à transposer ce conflit entre indigènes performants et intrus prétendument réticents au travail et ne pouvant être intégrés dans la culture», a poursuivi l’oratrice. L’impression que le gouvernement ne ménage pas les ouvriers, que ces derniers doivent payer pour les réfugiés recevant tout de leur côté a été soulignée. Dans ce contexte, selon les interviewés, les forces populistes de droite exprimeraient les indignations et les volontés du peuple.
Amener les salariés à discuter
«Ce ne sont pas tous des nazis. Mais ils estiment devoir se défendre contre le système. Les inégalités sont aussi expliquées par les théories du complot, plus simples pour désigner des coupables clairs dans des processus sociaux complexes. Le populisme de droite se présente comme un mouvement pour davantage de démocratie. Mais il réduit la démocratie à un principe formel de majorité et repose sur un concept ethnique du peuple.» Dans son sillage, s’inscrit souvent une légitimation de l’utilisation de la violence et le droit de se défendre contre les réfugiés. Aussi, estime-t-on compatible d’être actif dans un syndicat et en même temps dans Pegida. «Les comités d’entreprise de droite ne veulent pas attirer l’attention au sein de l’entreprise. Mais ils n’ont plus le sentiment d’être des outsiders... Dans certains comités comme au sein de personnels, les membres de Pegida ou de formations comparables sont majoritaires.» Pour les militants syndicaux interrogés, IG Metall fait du bon travail, mais il ne doit pas se positionner politiquement. Son rôle doit se limiter à la défense des droits des travailleurs. «Les syndicats ne recueillent pas la colère et les déceptions.» Comment dès lors traiter le développement de ces glissements à droite dans les syndicats? Deux positions se dessinent. L’une juge les orientations de ce type contraires avec les principes syndicaux – les organisations de travailleurs qui ont toutefois pris des positions claires en ce sens ont généré des départs. L’autre suggère de ne pas exclure les partisans de droites dures, mais de promouvoir une vision démocratique du monde. «Un positionnement tranché durcit les fronts sans résoudre le problème. Peut-être faut-il combiner les deux opinions. Mais où mettre les frontières? Séparer les convictions politiques et le travail syndical? Il faut y réfléchir. Trouver un chemin pour le futur. Amener les salariés à discuter malgré des visions divergentes du monde.»