Le Nouveau Musée de Bienne consacre une remarquable exposition à la grève générale de 1918 et le contexte de guerre et de privations dans lequel elle s'est inscrite. A voir jusqu'à la fin de cette année
Les impacts de la Première Guerre mondiale, la paupérisation dramatique des couches populaires, la grève générale: le Nouveau Musée de Bienne a fait de ces trois événements le fil rouge de son exposition «1918, Guerre et Paix» visible jusqu'à la fin de cette année. «Tout est lié. On ne peut pas comprendre la grève générale sans saisir le contexte de l'époque dans laquelle elle s'est déroulée», explique Florian Eitel, conservateur de la partie historique du Musée. L'exposition dont il est le maître d’œuvre illustre de manière vivante et didactique cette période trouble, marquée par la guerre en Europe, les conflits sociaux et la misère. Un climat douloureux auquel s'ajoutaient encore les affres de la grippe espagnole. Elle en retrace l'histoire globale tout en mettant la focale sur les événements particuliers qui ont marqué la région biennoise. Une plongée dans le passé régional qui a réservé aux chercheurs son lot de surprises: «Nous avons été étonnés par la profondeur de la misère sociale qui régnait ici à cette époque. Pour beaucoup, trouver de quoi manger relevait d'une lutte quotidienne.»
Emeutes de la faim
Une lutte qui prit une tournure dramatique le 8 juillet 1918, où Bienne fut le théâtre d'une émeute de la faim d'une rare violence. Bravant l'interdiction de manifester décrétée par les autorités locales, près de 800 personnes se rassemblent ce jour-là au cœur de la vieille ville pour s'élever contre la pénurie alimentaire et contre les prix prohibitifs du lait et des pommes de terre, notamment. Face à la répression, les protestataires lancent des pavés et des pierres sur les policiers et les façades des bâtiments officiels. La réserve de pommes de terre communale est pillée. Le lendemain, le général Ulrich Wille – dont les inclinations autoritaires sont notoires – débarque en ville et la place sous le commandement de l'armée. Il fait poser une mitrailleuse à la place du Bourg. Le bilan de l'émeute est lourd. Très lourd: un ouvrier de 22 ans, Edmond Jeannet, meurt des suites d'une balle perdue dans un tir de sommation. Ce drame n'empêchera pas la justice militaire de condamner 21 manifestants à des peines allant jusqu'à deux mois de prison. Et un certain nombre d'entre eux l'ont été pour de simples vols de pommes de terre...
Tension à son comble
Cette émeute et la manière de la réprimer en disent long sur le climat social qui prévalait alors sur fond de pénurie liée à la guerre sévissant aux frontières du pays. Et c'est cela qui va creuser le lit de ce qui deviendra, en Suisse, la plus grande grève de tous les temps, la grève générale observée par 250000 salariés du 12 au 14 novembre 1918.
L'exposition du Nouveau Musée de Bienne se penche bien sûr sur la dimension nationale de cette grève mais aussi sur son volet régional. Très syndiqués, en particulier dans l'industrie horlogère, les travailleurs de la région biennoise et du Jura bernois réussirent à stopper les activités de la plupart des entreprises et des services publics.
A travers des documents souvent inédits, notamment des échanges de courrier, l'exposition retrace les positions et les actes aussi bien des contempteurs de la grève que de ses acteurs et partisans. Exemple, la prise de position d'un industriel qui voyait dans ces événements le spectre du bolchevisme et en appelait à la répression patriotique ou, au contraire, le témoignage d'un ancien membre du comité de grève biennois. Cet aiguilleur de Madretsch, nommé Ernst Studer, joua un rôle clé lors du blocage d'un train par les grévistes au cours duquel des coups de fusil furent tirés par des soldats dépêchés sur les lieux. Révoltée, la foule massée était prête à se venger. Pour éviter un bain de sang, et plus particulièrement le lynchage des soldats, Ernst Studer prit l'initiative de faire séquestrer les culasses de fusil et de raccompagner la troupe à la gare, sous protection. Le tribunal militaire le condamna pourtant à deux jours de prison pour «mise en danger de la sécurité intérieure de la Confédération» et sa carrière dans les chemins de fer fut compromise. «On m'a reproché d'avoir désarmé les soldats. Mais ça m'avait permis d'empêcher un bain de sang», déclara-t-il en 1973.
Réhabiliter les condamnés
Studer ne fut pas le seul condamné. Loin s'en faut. Le bloc bourgeois exigea un maximum de sévérité envers les grévistes et des organisateurs du mouvement. Pourtant, la loi n'interdisait pas la grève. La justice militaire, à laquelle furent confiés les procès, se rabattit donc sur des ordonnances fédérales incriminant la grève. «Au total, 147 ouvriers et responsables syndicaux ou socialistes furent condamnés, certains à de lourdes peines. A Bienne, 21 personnes passèrent devant les tribunaux», relève la plaquette consacrée à l'exposition.
Ces condamnations ont récemment fait l'objet d'une demande de réhabilitation adressée au Gouvernement bernois par le député socialiste et syndicaliste Daniel Hügli et sa collègue de parti Béatrice Stücki. Les deux élus rappelaient que la grève générale de 1918 avait été le prélude à de grands progrès sociaux comme la réduction de la durée du travail, la mise en place de l'assurance vieillesse ou l'introduction du suffrage féminin. «Il est temps de reconnaître l'importance de cet événement pour l'évolution de la Suisse moderne et de réhabiliter les personnes qui ont été victimes de la justice militaire. L'exécutif cantonal, dominé par une majorité de droite, a botté en touche en arguant qu'une telle décision relevait de la compétence de l'Assemblée fédérale et en ajoutant qu'une réhabilitation nécessiterait... une enquête historique approfondie. Une simple visite au Nouveau Musée de Bienne aurait sans doute suffit.