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Entrecroiser les générations

Un vieil homme s'entretient avec deux adolescentes.
© Olivier Vogelsang

Sergueï Kaplun, boute-en-train de 83 ans, ravi d'avoir participé à ces échanges.

Des élèves genevois sont allés à la rencontre de dix résidents d’un EMS voisin de leur école. Un projet touchant qui rime avec transmission et partage. Reportage

Ce matin-là de février, le soleil transperce les baies de l’EMS du Nouveau Prieuré à Chêne-Bougeries. Il est 10h et une trentaine d’élèves du cycle d’orientation de la Gradelle, situé à deux pas, débarquent, dans la bonne humeur. Les jeunes, âgés entre 11 et 14 ans, se mettent en petits groupes et rejoignent chacun «leur» résident pour la dernière étape du projet: un entretien oral en vue de rédiger son portrait. Ils se connaissent déjà un peu, car deux rencontres ont eu lieu avant cela lors desquelles ados et anciens ont pu se découvrir à travers des lectures, des balades ou encore des jeux de société.

Porté par des enseignantes du cycle, ce projet a pour objectif d’amener plusieurs générations à s’entremêler, à partager des moments de vie, mais aussi à valoriser le parcours des personnes âgées qui peuplent le quartier de ces ados. «Nous souhaitons montrer à nos élèves qu’ils peuvent lâcher leur téléphone portable et offrir de leur temps aux autres, explique Maria Garcia, enseignante de français à l’origine du projet. Nous voulions également leur montrer que les aînés sont porteurs de richesses et de sagesse de vie, et qu’il est important d’immortaliser leur témoignage.»

Un vieil homme s'entretient avec des adolescents.
Intéressé et plein d’humour, Jean-Marc Aellen, Genevois de 77 ans, s'est à son tour pris au jeu de l'intervieweur. © Olivier Vogelsang

 

Tant d’aventures...

Tout le monde est prêt. Résidents et élèves se montrent impatients. Tandis que l’un pose les questions, un autre enregistre et un tiers prend des notes. C’est au tour de Raoul Colin, ancien ingénieur chimiste d’origine belge, de se prêter au jeu de l’interview. «Quand j’avais 27 ans, je travaillais dans une entreprise qui produisait 10000 tonnes d’acier par jour. J’ai failli mourir trois fois à cause d’explosions de gaz.» Ce poète amateur de 95 ans, arrivé à Genève en 1954, finira sa carrière chez DuPont, le géant industriel des matières plastiques.

Dans la salle d’à côté, au milieu de deux chats très joueurs, Henri Donati confie que son anniversaire vient de passer. «Joyeux anniversaire en retard, lance l’un des enfants. Vous avez reçu quoi?» «Oh, on a fêté ça tranquillement au restaurant avec une dizaine de personnes, des anciens collègues», répond l’aîné de 86 ans. «Je suis très apprécié de mes amis, même si on arrive encore à s’engueuler!» Le Normand d’origine explique avoir beaucoup baroudé dans le monde, avec sa caravane américaine, mais le pays qu’il affectionne le plus reste la France.

Un peu plus loin, la discussion se poursuit. Sergueï Kaplun, boute-en-train dans l’âme de 83 ans, raconte être né en Egypte où son père, russe, tenait une imprimerie. Le moment historique qui l’aura marqué à vie? Des bombardements en Egypte, qui poussent la famille à quitter le pays. «J’avais 9 ans. Après cela, on a beaucoup bougé.» Le conseil de ce polyglotte aux jeunes? «Soyez heureux!»

Un vieil homme s'entretient avec des adolescents.
Raoul Colin revient sur son passé d'ingénieur chimiste et ses 95 années d'existence. © Olivier Vogelsang

 

Message des aînés

Pour certains, se livrer n’est pas un exercice évident. «Ce n’est pas facile de se confier à des jeunes sur des choses aussi intimes et privées», commente Ragna Grandjean, arrière-grand-mère d’origine suédoise, qui partage ses souvenirs de l’Italie, un pays qu’elle affectionne beaucoup pour son art, sa beauté et son climat.

D’autres sont plus à l’aise. C’est le cas du Genevois de 77 ans Jean-Marc Aellen, qui prend le rôle de l’intervieweur à son tour. «Et toi, tu veux faire quoi plus tard?» «Pourquoi pas hôtesse de l’air», répond la jeune fille. Ce qui lui rappelle ses nombreux voyages en Afrique. «Et pourquoi pas devenir pilote après? Ou bien parachutiste? T’aurais les jetons?» Intéressé et plein d’humour, M. Aellen poursuit avec ses anecdotes d’ancien officier. «A l’armée, j’ai eu mon expérience en matière de parachutisme. Au Tessin, on devait faire dix sauts d’affilée, je n’ai pas réussi à en faire plus de cinq… Ce n’était pas pour moi.»

Entre admiration, respect et parfois malaise – quand la question n’est pas comprise par exemple –, l’échange reste riche et émouvant. Les sourires sont sur toutes les lèvres. Les recommandations données à la nouvelle génération se ressemblent: soyez sages, travailleurs et prenez la vie avec optimisme.

Questionnaire.
Un travail d'équipe. L’un des élèves pose les questions, un autre prend des notes. Le tout dans un environnement chaleureux. © Olivier Vogelsang

 

Expo à venir

A la fin des entretiens, les élèves déambulent avec des boissons et des petites gourmandises qu’ils offrent aux résidents. Certaines discussions se poursuivent. «J’ai adoré ces rencontres, c’était formidable, j’ai eu beaucoup de plaisir et j’espère qu’on se reverra», conclut Sergueï Kaplun. Nous aussi, répondent les élèves en chœur. Plus haut dans les étages, Raoul Colin a emmené les collégiens voir sa chambre, et les souvenirs qui s’y trouvent. Et en bas, pendant que certains se retrouvent à jouer au baby-foot dans le hall de l’EMS, d’autres terminent cette rencontre autour d’un jeu de société en compagnie des résidents.

Jeunes et moins jeunes seront amenés à se revoir, puisque ces portraits feront, au mois de juin prochain, l’objet d’une exposition à l’EMS lors de laquelle tous les acteurs du projet se retrouveront pour trinquer.

Autour de jeux de société.
Les entretiens se sont terminés sur un temps de jeux partagé entre jeunes, aînés... © Olivier Vogelsang
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