Le congrès de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui s’est tenu en Australie il y a deux semaines, et qui a rassemblé près de mille syndicalistes de 122 pays, a décerné un titre peu enviable, celui de «pire patron du monde». Six candidats étaient en lice: Jeff Bezos, président exécutif d’Amazon; Ahmed bin Saeed Al Maktoum, CEO d’Emirates; Peter Hebblethwaite, CEO de P&O Ferries; Alan Joyce, directeur général de Qantas; Gina Rinehart, présidente exécutive de Hancock Prospecting; et Howard Schultz, CEO de Starbucks. Ces dirigeants se sont fait remarquer aux yeux de la CSI en appliquant des modèles économiques «qui exploitent les travailleurs moyennant de bas salaires et des emplois précaires, les privant de leur droit de former des syndicats, d’y adhérer et de négocier collectivement». Ils ont, en outre, utilisé la pandémie «à leur seul profit, au lieu d'assumer leur responsabilité envers les travailleurs dont ils dépendent». Les syndicalistes et les internautes invités à voter en ligne ont choisi, comme pire boss entre les pires, Peter Hebblethwaite.
Le PDG de la compagnie de P&O Ferries est devenu le patron le plus détesté outre-Manche après avoir, en mars dernier, licencié du jour au lendemain 786 marins pour les remplacer par des travailleurs payés sous le salaire minimum britannique. L’annonce du licenciement s’est faite au travers d’une vidéo Zoom préenregistrée. Interrogé par des parlementaires, le patron voyou a admis avoir enfreint la loi en matière de notification et de consultation, et a déclaré qu'il serait prêt à le refaire. Peter Hebblethwaite est accompagné sur le podium de la CSI par Jeff Bezos et Alan Joyce. On ne présente plus le fondateur d’Amazon, déjà lauréat du prix en 2014. Moins connu en Europe, le directeur général de Qantas s’est, pour sa part, distingué pour avoir licencié ou poussé à la démission des milliers d’employés durant la pandémie tout en externalisant des services. Le conseil d’administration de la compagnie aérienne l’a récompensé en lui attribuant un bonus d’environ 4 millions de dollars, qui s’ajoutent à ses 2,27 millions de salaire annuel.
Une idée me vient: si nous élisions aujourd’hui le pire dirigeant sévissant dans l’économie suisse, qui pourrait figurer dans la sélection? Certainement Tilmann Schultze, le CEO de DPD Suisse, qui impose de mauvaises conditions de travail aux livreurs tout en adoptant une attitude très hostile envers le syndicat. Sans doute également Dara Khosrowshahi, le CEO d’Uber, qui continue à ne pas respecter les lois suisses en profitant des voies de recours et de la mollesse de nos autorités. Il y a aussi Vasant Narasimhan, le CEO de Novartis, qui entend supprimer 1400 postes en Suisse. Dans la même veine, Jack Bowles, le directeur de British American Tobacco, veut, lui, fermer l’usine de Boncourt, pourtant rentable, menaçant l’emploi de 220 personnes et la vie de tout un village. Citons encore Nizar Dahmani, le patron de Cats & Dogs, dont les employés, faute d’être payés, si ce n’est de belles promesses, sont obligés de démissionner pour pouvoir toucher le chômage et trouver un autre emploi. «Nettoyons le monde des mauvais patrons», a lancé la secrétaire générale de la CSI, Sharan Burrow, en revendiquant un nouveau contrat social où les entreprises et les dirigeants auraient des comptes à rendre aux salariés et à la société.