Devant les attaques contre le droit d’asile en Suisse et en Europe, la militante Graziella de Coulon en appelle à la solidarité et à la raison
La forteresse Europe continue de renforcer ses murs, les routes de l’exil sont toujours plus cruelles, l’extrême droite surfe sur la vague. L’UDC vient ainsi d’annoncer le lancement d’une initiative «pour la protection des frontières». Les expulsions en vertu des règles de Dublin continuent de frapper les personnes ayant le droit au statut de réfugié. La réforme du Régime d’asile européen commun (RAEC) entérine l’idée de camps fermés, carcéraux, aux frontières extérieures de l’Union européenne (UE) et intègre de nouveaux durcissements. L’externalisation des traitements des demandes d’asile se multiplie. Le Royaume-Uni prévoit dès juillet l’expulsion de 50000 requérants d’asile au Rwanda… Avant la Journée mondiale des réfugiés le 20 juin, nous donnons la parole à Graziella de Coulon, militante de longue date notamment au sein du collectif Droit de rester dans le canton de Vaud.
L'initiative de l’UDC exige que l'entrée et l’asile en Suisse soient refusés aux personnes arrivant par un pays tiers sûr. Un contingent de 5000 procédures par année au maximum serait possible et l’admission provisoire abolie… Pour l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), cette initiative est une «attaque frontale contre le droit suisse et international des réfugiés», qui ne pourra pas être appliquée dans la pratique… Votre réaction?
C’est une initiative inacceptable. L’UDC instrumentalise une fois de plus le thème de l’asile – et donc la détresse de beaucoup de gens – à des fins politiques. C’est triste que le plus grand parti de Suisse, en écho à la montée de l’extrême droite en Europe, se complaise dans une attitude de repli et de haine, de refus de toutes solidarités et de peur. L’UDC s’attaque à la Constitution, à l’Europe, aux traités internationaux… Une rencontre au niveau romand devrait être organisée pour dire non et lancer un débat serein. Je milite depuis une trentaine d’années et la Loi sur l’asile n’a cessé d’être révisée, toujours pour le pire. Aujourd’hui, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) gère des stocks. Il ne parle que de chiffres. Or, il s’agit d’êtres humains.
La réforme du Régime d’asile européen commun (RAEC) acceptée par le Parlement européen représente-t-elle un tournant dans la politique d’asile? Solidarité sans frontières a déjà émis l’idée de lancer un référendum contre les réformes que devrait appliquer la Suisse…
La réforme du RAEC va dans le sens de ce qui se fait déjà. La Libye, la Tunisie ou encore la Turquie ont déjà des mandats de l’UE pour retenir les migrants. Face à la peur de l’expulsion vers le Rwanda, des demandeurs d’asile sont déjà partis en Irlande, à Dublin! Avant les Anglais, les Danois ont voulu externaliser la gestion des demandes d’asile tout comme la présidente italienne Meloni qui a signé un accord avec l’Albanie. Il y a quelques années, la Suisse aurait même approché le Sénégal et l’idée ne serait pas abandonnée. Ce n’est pas acceptable d’un point de vue éthique bien sûr. Et totalement irrationnel. Cela n’a aucun sens. Ces personnes expulsées reviendront. Les gouvernements sont tous en train de perdre la tête. L’extrême droite estime que les immigrés menacent nos valeurs, mais en avons-nous encore?
La Suisse paie aussi Médecins du monde et d’autres ONG en Croatie, un pays qui ne respecte pas la Convention de Genève de 1951, pour se dédouaner de renvoyer des personnes qui y ont été violentées. Le Canton de Vaud effectue de plus en plus de transferts Dublin, même pour des femmes afghanes. Pourtant, en décembre dernier, le Tribunal fédéral a donné raison au Canton de Neuchâtel qui avait contesté la décision du Secrétariat d'Etat aux migrations de le sanctionner financièrement au motif d'un renvoi non exécuté. Cette décision montre que les cantons ont une marge de manœuvre.
Comment les personnes relevant du domaine de l’asile vivent au quotidien le risque d’être renvoyées dans des pays de l’espace Dublin?
Le Canton de Vaud utilise actuellement la coercition à travers l'assignation à résidence. Les personnes déboutées doivent être présentes dans leur foyer de l’EVAM entre 21h et 7h, pour que la police puisse venir les chercher. Si les personnes ne sont pas là, elles risquent une sanction pénale. Chaque nuit, à chaque bruit, elles ont peur. C’est une forme de torture, car elles ne dorment plus. Dans les familles, les angoisses des parents se répercutent sur les enfants. C’est un traitement inhumain. La plupart sont suivis par des psys, d’autres sont hospitalisés, avec pour effet de prolonger le délai Dublin (a priori de six mois) jusqu’à 18 mois. Le RAEC prévoit même un délai de trois ans. Pendant ce temps, les personnes déboutées n’ont pas le droit de travailler. Alors qu’elles n’attendent que ça et sont prêtes à tout. Face à la pénurie de main-d’œuvre, elles représentent une chance. C’est choquant également d’assister à la discrimination dans le traitement des demandes d’asile entre les personnes venues d’Ukraine et les autres. Le racisme est présent au cœur même du système.
Quelles sont les résistances possibles aujourd’hui? Après les refuges, les manifestations, les dénonciations?
Le nombre de militants a diminué. Beaucoup de gens sont impliqués ailleurs, pour le climat, pour la Palestine... Et puis, les luttes pour le droit d’asile sont déprimantes avec les lois qui ne cessent de se durcir. Il faut tenir le coup face à des gens dans une telle détresse. La peine de mort n'existe pas en Suisse, mais certaines personnes déboutées de l'asile sont poussées à bout, des suicides ont été médiatisés, d'autres non. Il ne faut pourtant pas baisser les bras. La marge de manœuvre est faible, mais elle existe. On a réussi à protéger des gens. Et dénoncer reste essentiel. C’est important également de reparler des victoires, comme celle des «523» dans le canton de Vaud il y a vingt ans qui vaudrait la peine d’être célébrée!
Je me dis toujours que, si l’énergie mise dans le négatif et le refus de l’autre était utilisée pour imaginer le positif et offrir un véritable accueil – comme l’a montré Mimmo Lucano l’ancien maire de Riace en Calabre avant d’être rattrapé par l’extrême droite –, il y aurait davantage de paix et moins de stress pour tout le monde. Dans mon village au Tessin, dix maisons sont vides. Si quelques familles y étaient logées, pouvaient travailler, il reprendrait vie. Qu’est-ce qui nous en empêche?