Connaissez-vous le chou romanesco, qui tire son appellation de la Ville éternelle dont il est originaire? Il ressemble autant au chou-fleur par sa forme compacte qu’au brocoli par sa couleur vert acide. Mais il s’en distingue par une morphologie proprement émerveillante. Sa pomme est en effet constituée par un amas de pyramides engoncées les unes dans les autres, qui s’étagent en taille décroissante de sa base jusqu’à son sommet suivant une architecture de couronnes spiralées.
C’en est au point qu’il intéresse maints scientifiques fascinés d’apercevoir en lui la matérialisation de ce qu’on nomme «la suite de Fibonacci», du nom d’un génial mathématicien italien du XIIe siècle, qui définit comme thème d’étude et de calcul une suite d’unités dont chaque terme représente la somme des deux termes qui le précèdent. Par exemple 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21 – et ainsi de suite, en fonction d’une progression allant par bonds successifs immanquablement grandissants.
Autrement dit le chou romanesco, c’est la vision traduite en légume de notre planète telle qu’elle se porte mal sur à peu près tous les plans, des pratiques politiques aux codes comportementaux sociaux jusqu’au rapport de notre espèce à son environnement. A tous ces égards et dans quasi tous les domaines, et même d’autres comme celui du sport et plus précisément des instances faîtières internationales régissant, on observe comme une ivresse du pire à l’œuvre dans d’innombrables cerveaux. Produisant des évolutions de type régressif en voie d’accélération largement fatale, à moins d’un miracle.
Ayant réglé notre œil sur la meilleure focale permettant de repérer ces évolutions-là, promenons-le quelques instants sur le paysage. Songeons à la problématique de l’environnement, justement, notamment à celle du climat, où le cher Fibonacci comme le cher chou romanesco paraissent avoir inspiré les stades graduels, constamment supérieurs aux prévisions, du réchauffement des températures et de leurs effets déployés autant dans l’atmosphère, au niveau des sols et dans les océans d’où les banquises polaires s’enfuient. Sans que les remèdes à ce phénomène s’ajustent au même rythme, évidemment.
Observons aussi le spectacle offert au continent européen par la Grande-Bretagne de Sa Majesté, qui construit depuis des mois un schéma dont tous les acteurs s’avèrent incapables du moindre accord et de la moindre entente susceptibles de conjurer, par un geste d’intelligence ou de stratégie décisif, un processus de blocage où paraissent s’inscrire en filigrane la même suite de Fibonacci, et le même chou...
Descendons enfin dans la Botte italienne où le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, épaulé par ses troupes de la Ligue du Nord et ses compères du Mouvement 5 étoiles, aggrave à son tour par degrés successifs sa maltraitance des migrants transméditerranéens, son refus de pondérer ses positions en face des intellectuels et des médias indigènes critiques, sa répulsion de tout ce qui ressemble à l’Europe, et ses synergies programmatiques avec des destructeurs de démocratie comme ils règnent en Hongrie, par exemple, sous le régime de Viktor Orbán. Une démarche très bien articulée par le discours, en l’occurrence, mais naturellement surgie d’un esprit brutal et tordu.
S’il y a matière à réfléchir sur cette immense machine des dérives fibonacciennes à l’œuvre sur notre globe terrestre, c’est à condition d’y voir le résultat d’une équation pourrie.
D’une part, en effet, nous savons tout depuis des mois ou des années: les atteintes de notre espèce à notre environnement, l’inefficacité voire l’inanité des dialectiques politiques et parlementaires instituant aujourd’hui des angoisses notoires en Grande-Bretagne, et le mépris de l’humanité non italienne par l’humanité de souche italienne régie par ses gouvernants actuels. Et d’autre part, de l’autre côté de l’équation, rien ne se passe qui ressemble au remède décisif propre à conjurer cette sorte d’ivresse du pire évoquée tout à l’heure.
Ah, puissions-nous un jour psychanalyser non seulement les prétendus décideurs perchés sur leurs petits trônes de la politique et de l’économie, et psychanalyser nos sociétés humaines elles-mêmes, drôles de troupeaux grégaires dont chaque individu surveille l’autre en l’imitant pourtant! Nous n’y verrions qu’égocentrisme et narcissisme doublés d’indifférence à tout ce qui n’est pas soi. De quoi faire du printemps la saison des germinations énervées…