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«Forger, c’est faire chanter l’enclume et le fer»

une forgeronne en train de travailler
@ Thierry Porchet

Fascinée par le feu, Bertille Laguet confie entretenir un rapport doux avec cet élément.

Talentueuse forgeronne, Bertille Laguet crée des pièces sur commande et des œuvres personnelles. Le feu de la passion au cœur de son art. Reportage.

Le feu crépite dans la forge au-dessus de laquelle trône un large éventail de pinces semblable à une frise. Masque et lunettes de protection, chevelure prisonnière d’un foulard, Bertille Laguet ajoute quelques briquettes de charbon de bois. Les flammes croissent et dansent au son d’une musique jazzy résonnant dans la pièce et accompagnant au quotidien le travail de l’artisane férue de ce genre d’accords. L’odeur de fumée ravive celle, froide, des récents usages précédents. Situé au cœur du petit village de Chexbres en terre vaudoise, l’atelier se réveille d’un court sommeil. Et sa locataire s’apprête à poursuivre la création d’éléments d’une rampe d’escalier en fer forgé. Une commande passée par un particulier. Bertille Laguet se saisit d’une barre de métal dont elle soumet le bout à la force d’un marteau-pilon pour en faire une pointe. «Une manière de gagner du temps, explique la Française de 36 ans, avant de plonger l’embout au feu. La température doit s’élever à quelque 1300 degrés pour que la pièce soit malléable. On mesure la chaleur à la couleur produite. C’est pour cette raison que les forges sont noires, facilitant la perception des contrastes de tonalités.»

Comme une danse...

Sans perdre un instant, la jeune femme frappe ensuite de son marteau la pointe de l’objet sur l’enclume. Et donne naissance à une volute qu’elle va affiner en reproduisant le processus. «C’est ce que j’aime notamment dans cette activité. On apprend à apprivoiser la pièce. Elle évolue constamment. Il y a une poésie de la matière que l’on modèle. Un dialogue avec elle, ajoute la spécialiste, soulignant encore la musicalité de la pratique. On travaille avec la tonalité, le rythme, une certaine musique. A la forge, on fait chanter l’enclume et le fer. Le son donne une indication sur la justesse du geste. Si on tape juste, on tape moins. On peut reconnaître un forgeron au bruit produit.» Un attrait du mouvement, de la cadence, qui trouve aussi chez Bertille Laguet une résonance particulière. La passionnée est férue de Lindy hop – l’an dernier, elle a terminé troisième au championnat d’Europe – et de danses swing. «J’ai commencé à apprendre ces disciplines en même temps que le travail de la forge, découvert par hasard en passant devant ce local», raconte la trentenaire. Bertille Laguet pousse alors la porte de l’atelier historique datant de 1906, tombe sous le charme de la pratique et demande au propriétaire des lieux, Philippe Naegele, de l’initier. Durant un an, chaque vendredi, elle se familiarise avec ce travail. Elle bénéficie ensuite d’une bourse qui lui permettra de compléter son apprentissage pour devenir forgeronne. La formation durera trois années. Avant que, en 2020, son mentor lui passe le témoin. 

Inspirer d’autres femmes

«J’aime tout dans cette activité», s’enthousiasme l’artisane. Cette diplômée de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne en bachelor Design industriel se dit particulièrement séduite par la possibilité de créer des objets uniques, durables et le contact avec les clients. «Contrairement à l’image froide et rude que véhicule parfois la forge, je trouve ce métier très sensible», ajoute Bertille Laguet, confiant encore sa fascination pour le feu, avec lequel elle entretient un rapport doux. Et sa «fierté et son humilité» de perpétuer un art venant du fond des âges, de reproduire la gestuelle et les rites de lointains aïeux. Elle a également à cœur de démystifier l’association de cette activité à la seule gent masculine. «En exerçant cette profession, j’espère aussi inspirer d’autres femmes. Il a un petit aspect militant.» 

Si Bertille Laguet reconnaît qu’il faut une certaine force pour effectuer ce travail, et de la ténacité, elle mentionne encore, au rang des qualités requises, un œil artistique: «Chaque pièce, chaque courbe nécessite un regard.» Un talent dont elle peut s’enorgueillir. La Française vivant à Lausanne expose actuellement une de ses œuvres à la biennale Homo Faber de Venise réunissant les créations des cent meilleurs artisans du monde. Une sacrée consécration.

Un travail original et sensible

Balustrades pour balcons, enseignes, rampes d’escalier, création de petit mobilier, réparation d’objets, fabrication d’outillage... Bertille Laguet remplit nombre de commandes. Elle travaille aussi pour des œuvres d’artistes sans que son nom apparaisse... Hormis des particuliers, la forgeronne compte encore parmi sa clientèle des communes et des institutions comme des musées, des universités, etc. Elle a par exemple créé pour l’Université de Lausanne, après avoir remporté un concours, cinq fresques animalières en lien avec son Obervatoire pour la biodiversité. Une composition délicate et poétique à découvrir sur le campus.

L’artisane consacre également son temps, un à deux jours par semaine, à ses propres réalisations. Des pièces utilitaires, décoratives ou les deux qui font la part belle à la fantaisie et témoignent d’une approche originale et sensible du métal, avec une touche éminemment féminine. Ses œuvres s’inspirent de la nature, de femmes de sa famille, du règne animal – elle confie son admiration pour les créations de l’artiste Robert Haynard. Parmi les espèces qui la fascinent le plus, elle cite... la limace, immortalisée dans plusieurs de ses œuvres. Un gastéropode souvent détesté, «à la texture sensuelle», qui l’émeut par sa vulnérabilité et sa lenteur. Et qui interroge, estime-t-elle, sur l’acceptation de ces dernières caractéristiques dans notre monde...

https://bertillelaguet.ch/

Vidéo Thierry Porchet

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