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Fortune monopolisée

Les 300 plus riches de Suisse détiennent à eux seuls 459 milliards

Alors que la crise de 1929 a poussé les gouvernements à taxer fortement les gros revenus et les successions, la crise actuelle entraîne une réaction inverse des Etats: ils sauvent les banques et envisagent encore des baisses d'impôts pour les nantis. La concentration des richesses s'est fortement accentuée ces dernières années alors que 150000 travailleurs sont pauvres en Suisse.

Plus besoin de cacher des fortunes qui en d'autres temps semblaient indécentes. Le magazine Bilan le précise dans son classement annuel des «300 plus riches de Suisse»*: l'information sur leurs avoirs se révèle beaucoup plus facile à obtenir qu'il y a 20 ans, lorsque cette revue luxueuse a commencé à établir son hit-parade. Il n'y a vraisemblablement plus aucune honte à être extrêmement fortuné en Suisse, même lorsque environ 10% de la population suisse vit dans la pauvreté, qu'une partie des employés helvétiques se ruine la santé au travail, et qu'un milliard d'êtres humains (16% de l'humanité) souffre de malnutrition dans le monde.

1929: taxer les riches!
Les 300 plus riches de Suisse possèdent une fortune cumulée «déclarée» de plus de 459 milliards de francs en 2008, indique Bilan. Soit près de l'équivalent du produit intérieur brut suisse (512 milliards). Mais attention, la crise financière a frappé depuis leur année record 2007, durant laquelle ils avaient dépassé les 500 milliards: les superriches ont perdu en moyenne 70 milliards depuis!
Le magazine établit alors une comparaison instructive avec la grande crise des années 1930 qui avait «laminé les superriches», bien que dans une proportion beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. L'article montre que la récession a ensuite incité les Etats (sauf la Suisse) à taxer de manière drastique les revenus des riches. «La réaction politique a été de faire payer les capitalistes, d'abord pour s'être enrichis énormément au XIXe siècle, ensuite pour avoir amené le monde au bord du gouffre. Il fallait les empêcher de recommencer», indique Thomas Picketty, professeur d'économie à Paris interrogé par Bilan. Les gouvernements ont ainsi amorcé un processus (extrêmement partiel) de déconcentration des richesses. Car les avoirs étaient encore beaucoup plus concentrés au début du 20e siècle qu'aujourd'hui!

2008: sauver les banques!
Aux Etats-Unis, Franklin Roosevelt avait imposé à 91% les revenus de plus de un million de dollars et à 80% les successions dans les années 1930. En Europe, ces taux atteignaient 60 et 70% en France et en Allemagne. Pour redescendre progressivement jusqu'à nos jours à des taux bien plus bas...
Aujourd'hui, face à la crise, pas la peine de se mettre à rêver, les Etats ont adopté l'attitude inverse qu'en 1930: «Actuellement, les gouvernements viennent au secours de financiers. Les banquiers n'ont plus de raison de se suicider», explique Thomas Picketty. Les travailleurs, eux, ne peuvent donc espérer une redistribution des richesses en leur faveur dans l'immédiat. L'hégémonie néolibérale et la mondialisation capitaliste sont passées par là dès le début des années 1980...

Extrêmes inégalités
La concentration des richesses risque bien au contraire de se poursuivre. Aujourd'hui, comme le révèlent les statistiques fédérales, 4,15% des contribuables (soit environ 190000) possèdent 57,03% de la fortune déclarée en Suisse. Et seulement 0,17% des contribuables possèdent à eux seuls 22,32% de ce patrimoine global. Or, précisons que ces montants ne représentent que ce qui est déclaré au fisc. Il est certain que les plus riches ont toujours davantage de moyens de camoufler leurs avoirs aux autorités fiscales, ou de les «évader», mieux armés de conseils juridiques subtils, que le simple citoyen lambda. Il y a fort à parier que la concentration soit plus importante encore. A l'autre bout de l'échelle, la majorité de la population vivant en Suisse, environ 56% des contribuables, ne possède aucun patrimoine, ou un montant inférieur à 50000 francs, relève Bilan.

Forfaits fiscaux: un bon deal?
Le classement de Bilan compte pour sa part toujours plus de milliardaires, qui atteignent le nombre record de 138 cette année, soit plus de la moitié de ces fameux 300 richissimes. «Par rapport aux années précédentes, un pourcentage très faible d'individus accumule une fortune toujours plus grande», souligne le magazine. A noter que la plupart des 300 privilégiés sont domiciliés dans trois cantons, Genève (26%), Vaud (16%) et Zurich (13%). Les suivants sont Berne (8%), Bâle-Ville (5%), Zoug (5%), etc.
Rappelons ici que la fiscalité concernant les riches venus s'établir en Suisse reste des plus opaques. La pratique des «forfaits fiscaux» la rend parfois absurde. Ingvar Kamprad, l'homme le plus riche établi en Suisse, le fondateur d'Ikea, avec une fortune estimée entre 34 et 35 milliards, ne paierait que 200000 francs par année au fisc vaudois, selon la presse locale... Faites le compte, cela représente au maximum 0,00058% de son capital total... Sa fortune, abritée aux Pays-Bas, échappe au fisc, car elle a été placée dans une fondation à but non lucratif... Chapeau Monsieur Kamprad!

Christophe Koessler



*Magazine Bilan, «Les 300 plus riches», numéro 262, du 5 au 16 décembre.