Fresques de pierre ou l’art de la patience

Adriana Cavallero est aussi à l’aise dans la reproduction d’œuvres anciennes comme cette mosaïque romaine que dans des compositions contemporaines.
La mosaïste Adriana Cavallaro perpétue une tradition millénaire. Incursion dans son atelier lausannois, dans un univers de fragments colorés.
Munie d’une marteline, un tranchet fixé sur un billot, Adriana Cavallaro réduit en petits morceaux un bout de marbre détaillé au préalable à l’aide d’une machine de coupe. Le geste est sûr, précis, répétitif. Et sonne agréablement aux oreilles de la mosaïste. «C’est comme une musique. J’aime beaucoup cette étape. J’y passe des heures», s’enthousiasme la ressortissante italienne de 46 ans dans un français aux chaleureux accents de son pays. Dans son lumineux atelier lausannois aux murs décorés de ses fresques de pierre composant un ensemble hétéroclite, la mosaïste s’abandonne à la cadence de sa frappe. Et débite en fragments toujours plus petits la roche blanche avant de s’interrompre pour saisir un morceau de granit. «Ecoutez, le granit, plus dur, plus compact, génère des tonalités différentes», assure la spécialiste, soulignant l’importance de la taille des matériaux, la finesse et l’harmonie du modèle dépendant de la forme et de la régularité des tesselles autant que du sens de leur agencement. Et d’ajouter qu’elle adore les pierres, y compris en bijoux, comme en témoignent ses bracelets et ses boucles d’oreilles en gemmes naturelles. «Elles dégagent une énergie», affirme la quadragénaire, précisant que celles de couleur noire ne lui font toutefois pas du bien...
Mille amours
Pour créer ses reproductions ou réaliser des œuvres de son cru, l’artisane recourt aussi à d’autres types de roches colorées. Et partage son ravissement lorsque l’une d’entre elles renferme des plantes fossilisées. «Magique!» s’exclame la quadragénaire, montrant une de ses trouvailles «imprimée» d’une minuscule fougère. Un spécimen précieusement conservé. Mais le monde minéral ne sert pas seulement les desseins de la mosaïste. Entre le marbre de Carrare et la pierre du Jura viennent également les pâtes de verre, les tessons de céramique, les éclats de miroir ou encore, sourit-elle, de la vaisselle cassée par son fils de 13 ans. «J’emploie plusieurs matériaux. Tous sont précieux. J’ai mille amours. Et un bon mosaïste ne fait pas de déchet.»
Textures de lumière
Se saisissant des tesselles de marbre taillées à la dimension requise, Adriana Cavallaro travaille à la reproduction d’une œuvre romaine. Un portrait de femme provenant de Piazza Armerina, en Sicile. «Je vais en réaliser plusieurs pour illustrer différentes époques. Ces tableaux me serviront pour mes cours», précise la passionnée, qui consacre aussi une partie de son temps à l’enseignement de son art et intervient encore dans des centres socioculturels, des écoles et des musées. Avant d’entamer la pose de fragments, collés avec de la chaux en pâte maintenue humide, la quadragénaire a réalisé un calque de la mosaïque originale. Et redessiné l’emplacement de chaque tesselle. Un travail d’une grande minutie. «Si je me trompe dans la mise en place d’une tesselle, je peux toutefois rectifier en l’ôtant avec une pince», indique-t-elle, joignant le geste à la parole. La mosaïste détaille encore différentes étapes de composition et techniques. Comment donner l’impression de mouvement, comment utiliser les interstices participant de l’œuvre, etc. Et elle explique les caractéristiques de chaque époque. «Du temps des Romains, les mosaïques recouvraient surtout les sols et les murs. Elles devaient alors être plates, lisses. La mosaïque byzantine intègre des pâtes de verre et des feuilles d’or. On peut jouer avec le relief, créer des textures de lumière», précise la mosaïste, illustrant également ses propos en montrant des images d’ouvrages spécialisés de sa bibliothèque.
Le travail d’une vie
Adriana Cavallaro s’est formée à son art à Ravenne, capitale italienne de la mosaïque, où elle a grandi. Elle a ensuite fréquenté la Haute école d’art et de design de Genève. Son cursus l’a conduite à maîtriser différents styles, grecs, romains et byzantins, et leurs techniques propres. «Au début, on se borne surtout à copier. Et il faut visiter beaucoup de sites. Chaque région possède ses spécificités», souligne la mosaïste. Installée en Suisse depuis une vingtaine d’années – «C’est l’amour qui m’a retenue» –, l’artisane apprécie autant reproduire des œuvres de l’Antiquité que de se lancer dans des créations contemporaines. Comme son papillon en céramique et pâte de verre – «Je me passionne pour les insectes» – ou sa sculpture scintillant de ses innombrables éclats de miroir aux allures de boule à facettes de discothèque.
Dans un tout autre registre, elle montre aussi une réalisation flamboyante inspirée par une émission qui l’a touchée sur les sorcières condamnées au bûcher... «J’aime tout faire», affirme Adriana Cavallaro, évoquant ses œuvres sur supports libres – cadre, table, vase, fontaine, logo, fresques, etc. – comme la réalisation de mosaïques sur sol ou paroi. Sans oublier les pierres tombales, une autre facette de son activité. «Les qualités requises pour exercer ce métier? Il faut surtout aimer le travail manuel et ne pas être pressé. Tout est lent. C’est un art de la patience», sourit la quadragénaire, insistant encore sur le fait qu’un bon mosaïste doit travailler toute sa vie...
Plus d’informations: www.adrianamosaique.ch