«Il faut retirer la protection des salaires de l’accord-cadre»
Maintenant que l’obstacle de l’initiative de résiliation a été franchi, la question de l’accord institutionnel avec l’Union européenne revient sur le tapis
«Nous avons repoussé l’attaque de l’UDC contre nos salaires. Nous sortons renforcés pour lutter pour améliorer nos droits de salariés», a dit la présidente d’Unia, Vania Alleva, dans un message vidéo publié à l’occasion du résultat de la votation du 27 septembre sur l’initiative de résiliation. Les syndicats se sont fortement engagés contre ce texte qui demandait l’abrogation de l’accord de libre circulation avec l’Union européenne, l’Union syndicale suisse (USS) allant jusqu’à distribuer un tout-ménage tiré à deux millions d’exemplaires. «Durant notre campagne, nous avons insisté sur un point central: plus le marché du travail est régulé, plus les questions migratoires peuvent se régler facilement; que les salariés puissent obtenir des conditions décentes de travail est au bénéfice de tous les travailleurs, qu’ils soient Suisses ou venant de l’étranger. Nous ne nous sommes pas laissés diviser, notre message est bien passé et c’est l’un des résultats les plus clairs que nous ayons obtenus sur un thème qui reste toujours difficile d’aborder», se félicite le président de l’USS, Pierre-Yves Maillard.
L’initiative écartée par 61,7% des électeurs, la question de l’accord-cadre négocié avec l’UE revient sur le tapis. Bruxelles pressant Berne de le signer, le Conseil fédéral pourrait le soumettre prochainement au Parlement. Ou pas. A la veille de la votation du 27 septembre, les médias révélaient que l’USS, Travail.Suisse, l’Union patronale suisse et l’Union suisse des arts et métiers (Usam) avaient dans une lettre commune invité le gouvernement à revoir sa copie.
Dispositif à préserver
Les exceptions prévues dans l’accord institutionnel pour protéger les salaires suisses sont en effet qualifiées d’«insuffisantes» par les partenaires sociaux. «Si l’accord était accepté en l’état, explique Pierre-Yves Maillard, à part un délai d’annonce de quatre jours et un régime de caution pour les entreprises qui auraient fraudé, tout notre dispositif de protection des salaires pourrait être examiné par la Cour européenne de justice et nous savons comment elle raisonne. Elle a, par exemple, cassé des sanctions que les autorités en Autriche avaient prises à l’encontre d’une entreprise hongroise qui ne respectait pas les standards salariaux pour des services dans les trains autrichiens. La Cour européenne a considéré que les règles valables en Autriche ne s’appliquaient pas à cette société.» Au contraire du principe en vigueur en Suisse et appliqué entre cantons selon lequel le lieu d’exécution prévaut sur le lieu de provenance. «Un travailleur saint-gallois envoyé par son entreprise à Genève doit être payé au tarif de la CCT genevoise si elle est de force obligatoire», rappelle Pierre-Yves Maillard. Selon l’Union patronale, les mesures d’accompagnement pourraient toutefois être préservées en obtenant des garanties que le niveau de protection actuel ne serait pas dévalorisé à l’avenir. L’Usam, de son côté, est partisane de remplacer la Cour européenne par un tribunal arbitral. Pour le président de l’USS, «dans la mécanique de l’accord, nos acquis en termes de protection et de contrôles des conditions de travail sont menacés, comme nos chances de développer ces mesures. Il faut donc retirer le thème de la protection de l’accord.»
Soulignons que cette position est soutenue par les syndicats européens. Dans un communiqué daté du 27 septembre, la Confédération européenne des syndicats estime que l’accord-cadre «ne doit en aucun cas servir de moyen pour démanteler les mesures d’accompagnement qui visent à protéger tous les travailleurs, établis en Suisse comme détachés, du dumping social et du nivellement des salaires par le bas». «Seule une Europe qui assure une protection juste et efficace aux gens qui travaillent a de l’avenir. Plusieurs pays membres et les instances de l'UE changent actuellement d’approche sur ces questions, sous la pression syndicale. Il faut poursuivre le mouvement dans ce sens et non affaiblir les protections en place», écrit encore la centrale européenne.
Matrice libérale
L’autre gros problème de l’accord institutionnel concerne les aides d’Etat, qui fausseraient le jeu de la libre concurrence. «D’un long chapitre très marqué idéologiquement, il ressort que les collectivités publiques devraient, par principe, s’abstenir de toute aide à l’économie. C’est vraiment une conception absolument libérale du rôle de l’Etat», déplore l’ancien président du Conseil d’Etat vaudois, en notant que, «durant les dernières décennies, bien que nous ayons subi des reculs, nous avons su en Suisse mieux protéger le service public que dans l’UE». Au moment de la signature de l’accord, seul le secteur aérien serait concerné, mais le socialiste met en garde: «La Suisse devrait s’engager à appliquer cette matrice libérale aux futurs traités conclus avec l’UE. Le prochain concerne l’électricité, nous devrions accepter une libéralisation totale de ce secteur.»
Troisième et dernier point litigieux, la directive sur la citoyenneté européenne, que la Commission souhaite faire adopter par la Suisse. Dans cette perspective, les Européens qui s’établissent en Suisse auraient accès plus facilement à notre système social. Les syndicats ne sont pas complètement fermés à cette optique, contrairement à la droite patronale.
Que fera le Conseil fédéral? On imagine qu’il va chercher dans les prochaines semaines une voie entre les exigences de la Commission européenne et la majorité à trouver au Parlement. Comme l’évoquait cet été dans nos colonnes le journaliste et syndicaliste Jean-Claude Rennwald, auteur de Suisse - Europe, la séparation après un flirt?, si des solutions aux problèmes de la directive sur la citoyenneté et aux aides d’Etat paraissent possibles à trouver, ça risque de coincer un peu plus sur les mesures d’accompagnement. Là, les syndicats ont fixé une ligne rouge, la protection des salaires et des conditions de travail n’étant pas négociables. Pierre-Yves Maillard le promet: «Le cas échéant, nous mettrons les moyens pour gagner le référendum.»