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Incursion au pays des kasbahs

Entre les superbes paysages du Haut Atlas et les premières dunes du Sahara, des trésors d'architecture et des traditions

Avec ses fières kasbahs, ses paysages de caractère et ses verdoyantes palmeraies, la région de Ouarzazate, au sud du Maroc, et la vallée de la Drâa incitent à la visite. A la découverte de sites majestueux ayant servi de décors à plusieurs films de renom. En poussant la porte d'une coopérative féminine de tapis ou d'ateliers de poterie où l'on perpétue des gestes ancestraux. Ou en optant pour une excursion dans le désert...

«Ouarzazate et sa région offrent un art de vivre. Une culture immatérielle. L'Egypte possède des pyramides, mais elles sont vides. Nos kasbahs sont des lieux vivants», affirme Reda Kelleto, collaborateur de l'Office national marocain du tourisme, sur le trajet en voiture reliant Marrakech à Ouarzazate. Une ville aux portes du désert, aussi atteignable par avion, mais qui prive alors le voyageur des tableaux du Haut Atlas. Monts pelés, arides et rocailleux où s'accrochent, disséminés, des villages en pisé ou en briques crues se fondant dans l'environnement; plissements géologiques spectaculaires, flancs pentus parsemés de maigres buissons où paissent, solitaires, des troupeaux de moutons et de chèvres... Au fil des lacets sinueux de la route défilent des paysages de caractère rehaussés, de retour en plaine, par de fières kasbahs et ksours en pisé (ksar au singulier). Forteresses et villages fortifiés de terre témoignant d'un passé tumultueux. Géants aux pieds d'argile dont certains sont aujourd'hui menacés de l'abandon par leurs habitants et de l'usure du temps...

Tout un cinéma
Un sort que ne risque pas le ksar d'Aït Ben-Haddou, classé au patrimoine de l'humanité. Juchée sur un promontoire, au pied d'un oued, la citadelle se compose d'un enchevêtrement pittoresque de venelles et de maisons serrées les unes contre les autres, entourées d'une muraille renforcée par des tours d'angle crénelées. Au sommet de la colline, un grenier servait jadis de «banque», renfermant biens de valeur, marchandises ou documents importants. Un ensemble époustouflant qui, au coucher du soleil, se pare d'un voile orange de lumière chaud et rêveur... Rien d'étonnant que le site ait servi de décors à des films comme Lawrence d'Arabie, Jésus de Nazareth, ou Gladiator... Fierté dont se prévalent encore les quelques rares résidents du ksar, à l'image d'Hamadi Houssaine, croisé par hasard, et ravi de montrer sa maison et un papier attestant qu'il a joué comme figurant dans Gladiator. Aujourd'hui, la plupart des habitants ont toutefois déserté les lieux pour s'installer dans la ville nouvelle, de l'autre côté du fleuve. Mais pas l'héritier propriétaire, Mohammed Jamal Eddine qui y demeure avec sa famille et où, explique un guide, se trouvent «son âme, ses ancêtres, son histoire». Rencontré à l'issue de la visite, l'homme offrira, dans une tradition d'hospitalité, thé à la menthe et amandes...

Un peu comme un musée...
Surplombant Agdz, à une septantaine de kilomètres de Ouarzazate, dans la verdoyante vallée de la Drâa, la kasbah Caïd Ali mérite aussi le détour. Ce monumental ensemble, aux allures de gros gâteau couronné de touches de chantilly, a été érigé au pied d'une palmeraie, essentiellement au milieu du 19e siècle. Il a été conçu pour faire barrage à l'insécurité et aux caprices de la météo. «Le ksar réunissait jadis plusieurs familles partageant des liens socioéconomiques, sous l'autorité du caïd Ali», explique Mbrarek Aït el Kaid, gérant le lieu, avec son frère Aziz. Quatrième génération de descendants ils ont entrepris de le restaurer progressivement. «La kasbah n'a jamais changé de mains», relève-t-il. Partiellement ouvert aux visiteurs et comptant quelques chambres d'hôtes et un camping mitoyen, l'îlot de bâtiments est constitué d'un dédale de pièces élevées sur plusieurs niveaux dont certaines agrémentées de peintures d'origine restaurées. Quant au riad, ou cour intérieure dans son sens premier, il est bordé d'arcades de différents types. «Un peu comme un musée... Lors de la reconstruction, on a décidé de montrer plusieurs styles.» Autrefois ombragé d'orangers et de citronniers, le patio transpire aujourd'hui sous le soleil... «Les sécheresses successives ont entraîné la disparition des arbres et provoqué, ici et ailleurs, l'exode des habitants vers les villes. De nombreux ksours ont aujourd'hui été abandonnés ou sont partiellement habités.»

Entre livres saints et poterie
Plus au sud, la ville de Tamegroute tire sa fierté de son importante bibliothèque coranique créée au 17e siècle par Mohammed Ben Nacer. Cette dernière renferme pas moins de 4000 ouvrages ramenés par son fondateur de ses voyages dans les pays arabes lors de plusieurs pelerinages pour la Mecque. «Le plus ancien date de 1063 et a été écrit sur une peau de gazelle» précise Rachid, gardien des lieux. Nombre de manuscrits comportent des enluminures de couleur, l'indigo pour le bleu, le safran pour le rouge ou encore le brou de noix pour le noir. Sous vitrines cadenassées, ce trésor ne peut être consulté que par des professeurs d'université munis d'une autorisation.
Autre curiosité de la bourgade outre son ksar et son labyrinthe de passages souterrains, ses ateliers à ciel ouvert de poterie, utilitaire et décorative. Une activité remplie par près d'un tiers de la population. «L'argile provient de la Drâa, puisée à 2,5 mètres de profondeur environ», explique Hamid Djell, potier et chimiste. Le temps de séchage des articles nécessite trois à six jours alors que leur cuisson dans un brasier prend trois heures. «Ce métier se transmet depuis la fin du 16e siècle de père en fils. Les femmes y participent lors de la pose de l'émail.» Couleurs fétiches des poteries de Tamegroute, essentiellement le vert, mais aussi le jaune et le henné, ce dernier étant surtout utilisé pour les célébrations et en particulier les mariages. Et marque de fabrique spécifique, un aspect artisanal qui en fait des objets uniques pleins de charme...
En poussant jusqu'à M'hamid El Ghizlane, les voyageurs se trouveront au seuil des immensités du Sahara. Parfait point de départ à une excursion prometteuse dans le désert. Une autre aventure...


Textes et photos Sonya Mermoud



Des tapis pour l'éducation

A découvrir également dans la région, à Tazenakht, la fabrication de tapis artisanaux, principale activité des femmes de la commune alors que les hommes cultivent le safran. Une halte à la récente coopérative créée par Ininetrasse Safia, dite Mina, et comptant 63 membres, donne un aperçu de cette pratique ancestrale et des modèles réalisés. «Nous utilisons de la laine de mouton. Tout est fait main, naturel, y compris la teinture végétale», précise Mina tout en expliquant, démonstration avec son équipe à l'appui, les différentes étapes du processus. Un savoir-faire appris de mère en fille, depuis des générations. Des techniques de travail variant en fonction des types de tapis retenus. Et des motifs spontanés, sans règle particulière... «L'avantage d'une coopérative pour ses membres? Il n'y a plus d'intermédiaires. Nous vendons directement les produits, donc un meilleur gain pour les travailleuses. Environ deux fois plus que si elles devaient se débrouiller sans cette structure», s'enthousiasme Mina et de préciser que la plupart d'entre elles consacreront l'argent gagné à l'éducation de leurs enfants et aux soins médicaux. «Ici, nous avançons la matière première et bénéficions de meilleurs canaux de distribution. Nous accueillons des acheteurs marocains et étrangers, participons à des expositions et avons aussi des contacts en Italie. Mais nous ne prenons aucune marge. La femme fixe elle-même le prix de son tapis.» Et même si les membres de la coopérative travaillent chez elles, l'initiative lancée par Mina favorise aussi le tissage de liens entre les adhérentes, unies dans une même volonté de mieux s'en sortir, elles et leurs enfants...